La société des acteurs

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Date: 7 août 2017
Auteur: Daniel Nadeau

Le professeur Gilles Sénécal de l’INRS (Institut national de recherche scientifique) rattaché au module Urbanisation, Culture et Société vient de publier un livre aux éditions Liber à la fin de 2016 intitulé : La société des acteurs.

Dans ce livre fort intéressant, Sénécal réussit à synthétiser avec beaucoup de brio les idées défendues par l’auteur des billets sur ce blogue quant à l’opinion publique et à d’autres concepts concomitants qui constituent le socle de sa compréhension du monde réel. Les réflexions de l’auteur mènent à une compréhension fine de ce que voulait dire Alain Touraine dans sa critique de la modernité et de ses opinions eu égard au sujet comme moteur de l’évolution des changements sociaux.

Le monde actuel crée une scène sur laquelle les gens se produisent en déployant le prisme de leurs intérêts en réaction aux forces économiques qui imposent leur agenda et leur façon de voir les choses. Les forces du néolibéralisme sont celles qui contrôlent nos vies, qui les mettent en spectacle et qui achètent notre consentement par le fétichisme de la consommation. Pour Gilles Sénécal, « la société des acteurs est le cumul d’affirmations, de contestations et d’oppositions, dont les expressions les plus diverses atteignent l’espace public communicationnel et le champ de l’action collective. » (Gilles Sénécal, La société des acteurs. Les voix du monde vécu, Montréal, Liber, 2016, p. 9)

Plusieurs cherchent à expliquer le monde actuel par le prisme de la fuite en avant dans la consommation, l’individualisme, les marqueurs générationnels ou encore celui du populisme et de la montée des extrêmes. Chacun de ces angles d’attaque sont des outils de compréhension possible, mais le mérite du livre de Gilles Sénécal c’est de nous faire découvrir qu’au travers l’essoufflement des mouvements traditionnels de changement social que furent les ouvriers, les femmes ou les minorités qu’elles soient de nature sexuelle ou raciale, la société occidentale est traversée par de nouvelles formes d’opposition et de résistance qui se traduisent par de nouvelles formes d’action collective. Le professeur Sénécal regroupe ces nouvelles formes d’opposition sous le concept de « société des acteurs ». En fait, nous dit l’auteur : « Les nouvelles formes d’action collective sont incarnées par des individus mobilisés par des finalités qui les concernent directement, mais dont la portée est collective et les résultats potentiellement généralisables ». (Gilles Sénécal, op.cit.)

Ce monde nouveau d’une société des acteurs en mouvement est en réaction à « un monde global qui est un ensemble diffus, mais puissant d’organisations et de groupes peu régulés, aux articulations souples et complexes. Il est le produit de l’accélération de la modernité dont il impose les représentations paradoxales. La première est la multiplication des spectacles marchands. La deuxième est la fragmentation et l’érosion du lien social… le monde global impose une nouvelle image de la société; il consacre la réduction de la réalité à un discours économique qui envoûte les élites locales. » (Gilles Sénécal, Ibid. p. 9 et 10)

Devant ce nouvel étau de nos consciences, trois phénomènes apparaissent, mus par les nouveaux réseaux sociaux et l’apparition d’une communauté communicationnelle. Le premier est la montée en puissance du sujet individuel qui devient un acteur de sa propre expérience. Le second est l’émergence de nouveaux repères identitaires que les sujets individuels peuvent reformuler dans les termes de leur propre expérience. Le troisième phénomène est le plus important de tous à mes yeux c’est que « l’individu acteur de son expérience tend à accroître ses possibilités d’interactions sociales et, en cela, profite de l’accélération que permettent les moyens de communication pour se répandre dans la sphère publique de délibération et, par le fait même, multiplier les contacts et les réseaux, qu’ils soient érigés sur les connivences personnelles ou le relais anonyme du contenu militant. » (Gilles Sénécal, ibid. p. 13)

Ce n’est donc pas une fausse idée que d’affirmer que notre monde bascule d’un monde de démocratie de représentation à celui d’une démocratie de participation. Il est futile de déclarer comme l’a fait Francis Fukayama la fin de l’histoire et le triomphe du modèle de la démocratie libérale dans le sillon de l’érosion des identités anciennes qu’étaient les classes, les nations, les familles, les quartiers, etc. Il faut plutôt prendre acte que la nouvelle donne, la société du spectacle, favorise aussi la prolifération d’espaces de délibération où l’acteur peut intervenir. Plus que jamais, l’expérience du sujet peut s’affirmer et permettre à nouveau l’espoir d’un monde meilleur. C’est la promesse d’une société des acteurs.

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