Techno fascisme 2.0

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Date: 24 avril 2015
Auteur: Daniel Nadeau

Depuis quelques jours, je vous entretiens dans le cadre de mes billets du blogue de Nadeau Bellavance de grands principes du Web 2.0, des divergences entre les différents commentateurs sur ce que signifie cette avancée technologique dans nos vies quotidiennes. Dans mon dernier billet, j’évoquais le débat entre celles et ceux qui voyaient le Web 2.0 comme l’apanage d’une nouvelle culture, d’un nouveau socialisme et celles et ceux qui au contraire décrivaient le Web 2.0 comme un nouveau féodalisme. J’ai affirmé, à la fin de mon dernier billet, que derrière ces beaux mots, cette façade d’une nouvelle démocratie et d’une nouvelle culture, se cachait une réalité beaucoup plus sombre et que les gourous de la nouvelle économie numérique avaient une bien curieuse façon de concevoir la démocratie. Ce billet que j’ai écrit dans Estrie Plus le 23 avril 2014 fait état de certains faits troublants provenant des pratiques et des discours de ces nouveaux barons de l’économie numérique. J’ai trouvé judicieux de reproduire ce texte ici dans le cadre de cette réflexion que je mène avec vous sur le Web 2.0. Le texte original a été quelque peu adapté pour l’occasion.

Estrie Plus, 23 avril 2014
Auteur: Daniel Nadeau

L’an dernier, le Québec a vécu une élection pénible. Tous s’entendaient alors pour dire qu’il fallait revoir notre façon de voir la politique. La démocratie de type libérale est attaquée de toute part.

Au nom de la société civile, d’une plus grande part des citoyens dans l’action politique, on réclame un nouveau mode de scrutin, la fin des partis comme nous les connaissons et tutti quanti. Malgré ses parts d’ombre, la démocratie libérale a plusieurs avantages. Pour reprendre les mots de Winston Churchill : « La démocratie est le pire système du gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire. » (Winston Churchill, 11 novembre 1947, à Londres, Chambre des communes, dans The official Report, House of Commons vol. 444, pp. 206-207). Pendant que la planète Québec s’autopsie, s’interroge et n’en finit plus de remettre en question les valeurs qui en fondent l’existence singulière, ailleurs, des puissants songent à devenir maîtres du monde au nom d’un libertarisme qui devrait faire frémir les plus critiques de notre système. Enquête au cœur des lubies des nouveaux maîtres du monde.

Le Nouvel Observateur : la source
C’est au magazine français de réputation internationale, Le Nouvel Obs, que nous devons la paternité de ces informations. Dans son numéro 2579 du 10 avril 2014, l’envoyée spéciale Dominique Nora nous livre les fruits de son enquête sur le plan fou des nouveaux maîtres du monde. Elle nous révèle les pensées les plus secrètes des nouveaux oligarques du monde qui se sont enrichis et ont envahi nos vies avec les Google, Wikipédia, Hotmail, Skype, Amazon, Facebook et qui veulent un monde nouveau, un monde qui peuplé de microétats pourrait donner naissance à une nouvelle civilisation à leur image : riche, technologique et libertarienne.

Un nouveau monde pour des oligarques puissants
Le monde idéal pour eux serait : « une myriade de cités marines, ne dépendant d’aucun gouvernement souverain. Dans ces villes flottantes modulaires, on ne paierait pas d’impôts, on réglerait ses factures en bitcoins, on ne consommerait que de l’énergie verte, on apprendrait en ligne, on serait livré par drone et soigné à coups de thérapie génomique. » (Le Nouvel Obs, 10 avril 2014, p. 8)techno facisme 2.0
« Le 19 octobre dernier, à Cupertino, dans la Silicon Valley, le fondateur de l’entreprise génomique Counsyl, Balaji Srinivasan s’est fait applaudir par une salle comble en qualifiant les États-Unis de “Microsoft des nations”. » (Le Nouvel Obs, 10 avril, p. 8) Il voulait dire par là que lorsqu’un géant est dépassé, on devrait le remplacer par de nouveaux « start-ups » plutôt que de chercher à le réformer.
Larry Page, le cofondateur de Google mentionnait pour sa part : « Il y a beaucoup de choses importantes et excitantes que nous pourrions faire, mais nous en sommes empêchés parce qu’elles sont illégales. En tant que spécialistes de la technologie, on devrait disposer d’endroits sûrs où l’on pourrait essayer des choses nouvelles et juger leurs effets sur la société et les gens sans avoir à les déployer dans le monde normal. » (Le Nouvel Obs, 10 avril, p. 10)

Les modérés veulent du changement
Tim Draper mène pour sa part la campagne « Six Californias ». Draper est un financier partenaire de la société de capital de risque Draper Fisher Jurveston et est derrière le succès financier de Skype et Tesla Motors. Pour lui, l’État de Californie est mal géré et est devenu ingouvernable. Cet État taxe trop les citoyens pour ses résultats médiocres. Sa solution, faire de la Californie six nouveaux États en phase avec les intérêts économiques de cette grande région. D’autres rêvent à refonder le monde sur de nouveaux États de type libertarien.

La liberté contre la démocratie
Patri Friedman, le petit-fils de l’économiste à l’origine du néo-libéralisme qui a déferlé sur l’Amérique et l’occident capitaliste, Milton Friedman, milite activement pour fonder une ville flottante dans le golfe de Fonseca en Amérique Centrale. Des dizaines d’ambassadeurs bénévoles œuvrent présentement à prêcher la cause de la refondation de la civilisation libérale sur de nouvelles bases. Pour eux, nous dit la journaliste, Dominique Nora, « seul (sic) le système politique sclérosé et ses vieilles lois terrestres empêchent de résoudre les grands problèmes de notre civilisation. Selon eux, repartir d’une feuille blanche, comme les pères fondateurs, permettrait de libérer le génie inhérent à la race humaine. Des esprits éclairés formeraient des cités laboratoires, pour expérimenter, ils inventeraient de nouvelles formes de gouvernance et développeraient les technologies permettant de nourrir les gens qui ont faim, enrichir les pauvres, guérir les malades, restaurer les océans, nettoyer l’atmosphère et se débarrasser des énergies fossiles. » (Le Nouvel Obs, 10 avril, p. 10)

Utopie fascinante ou techno fascisme 2.0?
À lire les propos recueillis par Dominique Nora auprès de ces nouveaux oligarques de notre monde, on est pris d’un vertige. Ceux-ci comptent parmi les plus puissants de notre planète grâce à leurs entreprises technologiques qui ont fait un tabac dans les cours de la Bourse du monde entier. On ne peut s’empêcher de relier leurs vœux pieux de grande générosité pour l’espèce humaine à leur propension à s’enrichir par un hypercapitalisme à la fois fascinant et inquiétant. Subitement, nos pensées voguent vers la crainte de voir s’ériger en nouvelle vérité du monde, les idées et suggestions de ces grands prêtres et marchands de notre nouveau temple. On craint que derrière ce discours de puissants oligarques se cachent les germes d’un techno fascisme 2.0.

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