Web 2.0 : Féodalisme numérique ou socialisme revu et corrigé?

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Date: 30 juillet 2015
Auteur: Daniel Nadeau

Facebook roiLe débat fait rage entre les spécialistes du Web 2.0 sur la véritable nature de cette bête. Pour les uns, comme Marina Gorbis, le Web 2.0 s’apparente à une sorte de féodalité numérique. Des sites comme Facebook et Tumblr concèdent des terres à des fournisseurs de contenus. De la sorte, ils peuvent profiter en toute impunité du travail de ces serfs et revendiquer le droit d’utiliser leur création : « nous sommes à la fois roturiers héroïques soutenant les révolutions au Moyen-Orient et “serfs modernes” peinant sur les fiefs numériques de Mark Zuchenberg ou de quelque autre baron. » (Astra Taylor, Démocratie.com Pouvoir, culture et résistance à l’ère des géants de Silicon Valley, Montréal, Lux éditeur, 2014, p. 27)
Marina Gorbi, poursuivant son raisonnement, décrit bien le comportement des nouveaux serfs du numérique : « telle une légion de paysans numérique, nous nous démenons pour trouver de quoi subsister dans les seigneuries numériques, heureux de recevoir quelques sous du trésor publicitaire de temps à autre. Mais nous nous en sortons essentiellement, parfois avec bonheur, grâce aux récompenses sociales que sont le plaisir, les relations et la bonne réputation en ligne. » (Astra Taylor, Démocratie.com, p. 27)
D’autres comme Kevin Kelly voient les choses de façon fort différente. Qualifié par plusieurs de poète officiel du capitalisme numérique, le commentateur de longue date de l’actualité technologique et cofondateur du magazine Wired, Kelly s’inscrit en faux contre celles et ceux qui veulent assimiler le Web 2.0 à un vecteur d’exploitation féodale. Pour lui, l’avènement du Web 2.0 annonce plutôt une nouvelle culture de la coopération, une renaissance du collectivisme. Toujours selon Kelly, le Web 2.0 est en train d’engendrer une version revue et corrigée du socialisme. Lisons son point de vue ensemble :
« Au lieu de nous rassembler dans des fermes collectives, nous nous rassemblons dans des mondes collectifs. Au lieu de travailler dans des usines de l’État, nous œuvrons dans des fabriques numériques connectées à des coopératives virtuelles. Au lieu de partager des mèches, des pics et des pelles, nous partageons des applications, des scripts et des interfaces de programmation. Au lieu d’obéir à quelque Politburo anonyme, nous prenons part à des méritocraties anonymes où seuls comptent les résultats. Au lieu de contribuer à la production nationale, nous contribuons au travail collaboratif. Au lieu de recevoir rations et subventions de l’État, nous obtenons une abondance de biens gratuits ». (Astra Taylor, Démocratie.com, p. 28.)
Derrière ces points de vue opposés, il y a, vous vous en doutez bien, beaucoup de teintes de gris. Il faut prendre acte de la passion de ces gourous des nouveaux médias qui mélangent allégrement esprit de communauté et audace capitaliste. Pour plusieurs, la révolution Apple, l’introduction de l’ordinateur personnel dans chaque maison, est une véritable révolution faite par un capitaliste pour le plus grand bien de l’ensemble. On ne cesse de vanter cette nouvelle économie, ces nouveaux réseaux qui inspirent une économie du don, du triomphe des meilleurs, d’une révolution démocratique. Pourtant, derrière ces beaux mots, et ces concepts attrayants, derrière cette façade d’un monde meilleur se cache toutefois la privatisation des espaces de vie intime, la marchandisation de la conversation et des désirs des humains et surtout de graves inégalités pour les créateurs de contenu par rapport aux propriétaires des infrastructures de connectivité. Il se cache aussi chez plusieurs de ces nouveaux seigneurs féodaux du 21e siècle une bien curieuse conception de la démocratie à naître. Notre billet de demain y sera consacré : Techno-fascisme 2.0…

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