La force du récit

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Date: 12 janvier 2016
Auteur: Daniel Nadeau

Il n’y a pas à dire notre époque fait une large place aux récits et les consommateurs que nous sommes tous en redemandent. La force des récits constitue de loin la clé de la compréhension du succès du «storytelling» dans le monde des communications d’aujourd’hui.récit émotion

Selon Clodong et Chétochine, ouvrage que je cite souvent en matière de «storytelling» : «le storytelling est un signal à la fois sociologique et historique sur les valeurs qui traversent notre société. Dans la presse comme dans les émissions de télé-réalité, sur les consoles de jeux vidéo comme dans les salles de musée ou les couloirs d’hôpitaux, notre vie quotidienne est en permanence enveloppée dans un filet narratif qui filtre et influence nos perceptions.» (p. 38)

Pour ces auteurs, trois raisons expliquent l’engouement de notre époque pour le «storytelling» :

  • La force du récit qui vient remplacer le raisonnement par l’émotion. Cela est en phase avec l’évolution de nos sociétés qui sont passées de l’opinion publique à l’émotion publique;
  • Le storytelling ne cherche pas comme la propagande de jadis à modifier nos convictions, ni même paradoxalement à nous influencer, mais plutôt à nous faire entrer dans une histoire passionnante;
  • La quête de sens est l’un de nos besoins les plus criants en cette époque de sortie de religion et de désenchantement du monde comme l’a si bien décrit le politologue français Marcel Gauchet. Le récit constitue donc un excellent vecteur pour répondre à ce besoin criant que nous avons. Il est le chemin le plus court et le moyen le plus percutant pour créer du sens et le partager. Faut-il s’étonner dans les circonstances de l’engouement du blogue qui est une preuve frappante du désir des gens de se raconter ou de raconter? Il s’ouvre dans le monde un blogue par seconde.

Cet engouement pour le récit même s’il prend des proportions gigantesques à notre époque a cependant toujours été présent dans l’histoire humaine. Au temps des philosophes grecs, Sophocle et Euripide utilisent le récit pour interpeller le citoyen grec plus que pour le divertir. (Clodong et Chétochine p. 42.) On se rappellera aussi qu’au 19e siècle aux États-Unis se promenaient de ville en ville des bonimenteurs, femmes à barbe, singes savants, de faux médecins qui vendaient des poudres de perlimpinpin, et des propositions mirifiques de placement, de guérisons miracles et autres fadaises. Sous le régime de Staline, on avait inventé pour la Pravda de faux récits d’exploits ouvriers pour venir fortifier ce personnage central du régime stalinien ou encore, tout près de nous, la mise en scène tout à fait extraordinaire des exploits sportifs des équipes professionnelles de sports. À cet égard, une mention toute spéciale devrait être accordée au Club de hockey des Canadiens de Montréal. Cette organisation réussit toujours des mises en scène de très grande qualité pour raconter l’histoire des exploits de notre équipe.

Je crois que je n’ai pas besoin d’argumenter plus avant pour faire la démonstration que le «storytelling» est partout et qu’il est une pratique de plus en plus répandue dans notre vie quotidienne. Néanmoins, non seulement comme je l’ai écrit précédemment, il faut s’en méfier, mais plus encore il faut adopter un regard critique sur ce phénomène…

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