Le Canada, un pays sans histoire

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Date: 30 juin 2017
Auteur: Daniel Nadeau

Exceptionnellement, nous publions le texte de Daniel Nadeau publié dans EstriePlus le mercredi 28 juin.

Demain, les citoyens du Canada seront invités à célébrer le 150e anniversaire du Canada. La question qui se pose est la suivante : Qu’avons-nous à fêter? Le Canada est peuplé de gens admirables, volontaires et talentueux. Des gens qui se démarquent par des valeurs humanistes et d’entraide. Des gens issus de nombreux pays de la planète. Des gens qui ont néanmoins conquis la terre des peuples déjà présents et les ont réduits à des conditions de vie qui font notre honte aujourd’hui avec nos valeurs du 21e siècle. Sans vouloir nous justifier, nous ne sommes pas les seuls ni les pires exemples.

Quoi qu’il en soit, on doit reconnaître que le Canada que l’on s’apprête à fêter les 150 ans n’a pas d’histoire. Il est plutôt le résultat de calculs, d’ambitions politiques et économiques et surtout d’une lutte nationale jamais achevée entre Français catholiques et Anglais protestants. Plongée dans les sources du mal canadien.

Aux origines du Canada

Ce n’est pas d’hier que l’on discute de la lutte des deux solitudes au Canada. Les historiens et les intellectuels québécois et canadiens y ont consacré de nombreux articles et livres depuis 1867. D’ailleurs, il faut convenir en toute honnêteté intellectuelle que nous n’avons jamais réussi à doter notre pays d’un seul récit national. Il y a toujours chez nous collision entre deux discours historiographiques, l’un du Québec et l’autre du Canada. Nous avons aussi deux opinions publiques et non pas comme des pays normaux « une opinion publique ». C’est d’ailleurs ce que démontrerai dans un essai historique que je suis à rédiger sur L’opinion publique et l’échec de l’Accord du lac Meech. Je souhaite publier cet essai en 2020 pour souligner le 30e anniversaire de l’échec de cet accord entre le Québec et le Canada.

Cette impression de désaccord sur nos origines entre deux historiographies en lutte l’une contre l’autre afin de nous approprier un espace pour créer un seul récit national de qui nous sommes, n’est jamais achevé. La diffusion récente sur les ondes de la CBC de la série historique Canada, A Story of Us n’en est que le dernier épiphénomène. Cette série qui a suscité la controverse notamment auprès des francophones hors Québec, des Acadiens et des Québécois a d’ailleurs fait l’objet de critiques très pertinentes de l’historien nationaliste Éric Bédard. Ce dernier a publié ses critiques dans le journal Le Devoir. Sans être d’accord sur tout avec Éric Bédard, je partage de nombreuses idées avec cet auteur. J’aimerais rappeler ici ce que j’en disais dans une chronique publiée ici le 19 avril dernier : « Si nous nous inspirons de Fernand Dumont, nous pourrions dire qu’en soi le documentaire de la CBC Canada : The Story of Us est inoffensif et peut-être vu comme une œuvre de production télévisuelle à l’instar de tant d’autres que l’on peut aimer ou non. Néanmoins, le problème avec ce documentaire particulier c’est qu’il est présenté par le premier ministre du Canada, Justin Trudeau et par les producteurs comme un outil pour comprendre les clés essentielles de ce qui a fait le Canada comme il est aujourd’hui. C’est là que le bât blesse. Si j’en crois les premiers épisodes que j’ai vus et les critiques fondées que j’en ai entendues par les historiens, ce récit de l’histoire de ce que nous sommes laisse de larges pans de faits historiques dans l’ombre et n’est pas représentatif d’un Nous inclusif canadien. Si cette histoire devient notre mémoire, nous créerons la génération de l’oubli… »

Pas de moments fondateurs…

S’il est vrai qu’il s’oppose toujours plus d’un discours sur les débats entourant la formation et le déploiement de l’État-nation canadien dans l’histoire, il se dégage néanmoins des constantes de ces analyses divergentes qui convergent dans un malaise quant à notre récit national. Le Canada n’a pas d’histoire grandiose à offrir à ses citoyens comme nos voisins américains en ont plusieurs. Il s’agit de voir la série historique dramatique :  Turn: Washington Spies qui raconte l’histoire du cercle Culper, un réseau d’espionnage du temps de la guerre d’indépendance des Américains contre le roi Georges, et le destin tragique du héros américain Benedict Arnold qui fut un traître et un héros, pour s’en convaincre. Chez nous, le gouvernement de Stephen Harper a bien voulu faire de la guerre américano-canadienne de 1812 un moment épique avec son héroïne Laura Secord, mais ce fut peine perdue. Il faut se rendre à l’évidence le Canada n’a pas de moments d’histoire forts qui en serait le socle fondateur. Ce qui ne signifie pas pour autant que le Canada n’est pas un véritable pays.

Le marchandage, les calculs et les ambitions sont les racines canadiennes

Depuis les deux dernières années, les historiens et les intellectuels canadiens n’ont pas boudé leur plaisir et nous ont servi de nombreux écrits sur l’histoire du Canada. J’ai retenu deux ouvrages majeurs et trois numéros spéciaux de revues canadiennes et québécoises que je souhaite porter à votre attention. D’abord, j’ai lu le livre intitulé La conférence de Québec de 1864. 150 ans plus tard. Comprendre l’émergence de la fédération canadienne publié aux Presses de l’Université Laval sous la direction d’Eugénie Brouillet, Alain-G. Gagnon et Guy Laforest en 2016. L’ouvrage Patriation and its Consequences. Constitution making in Canada publié chez University British Columbia Press en 2015 sous la direction de Lois Harder et Steve Patten. Trois numéros spéciaux de revues québécoises et canadiennes ont aussi retenu mon attention : « La Confédération canadienne 1867-2017 » de la revue Argument tout juste publiée cet été, « Confederation, Historical Perspectives » de la Canadian Historical Review publié en juin 2017 et la livraison du printemps dernier du Bulletin d’histoire politique qui consacre tout son numéro à « L’histoire politique du Québec : un état des lieux » et consacre deux articles à la question canadienne.

De tous ces auteurs, de la diversité de ces points de vue, nous pouvons en retenir une impression, un malaise. Le Canada fut le résultat de calculs, d’ambitions politiques d’une classe de marchands capitalistes avides et d’une lutte entre les Français catholiques et les Anglais protestants. Tous les événements de notre histoire portent ces cicatrices. On omet toujours dans notre récit mémoriel populaire le sort peu enviable réservé aux nations autochtones de ce pays et le silence est total sur le sort des femmes. Deux moments forts donc de l’histoire canadienne ressortent, celui de sa création en 1867 avec le projet de confédération et celui de sa refondation en 1982 avec le rapatriement de la constitution et la création d’une Charte des droits et libertés. De ces deux événements, il en ressort manifestement que nous sommes le résultat de marchandages et de calculs politiques plutôt que l’expression d’une volonté de vivre ensemble.

Relire l’analyse du juriste Jean Charles Bonenfant…

Jean-Charles Bonenfant a consacré une large partie de sa vie intellectuelle à la constitution canadienne et à son étude et il écrivait en 1963 dans la Revue d’histoire de l’Amérique française un texte intitulé « L’esprit de 1867 » toujours d’actualité aujourd’hui. Permettez-moi de vous en citer un extrait significatif : « La Confédération s’est réalisée au siècle dernier parce que les Canadiens anglais avaient besoin que nous soyons et parce que nous, Canadiens français, nous ne pouvions pas alors devenir indépendants. Malgré les apparences, la situation n’a guère changé : sans nous, les Canadiens anglais n’ont guère de raison de ne pas se transformer en Américains et quant à nous, Canadiens français, il semble bien que, vivant dans une Amérique anglo-saxonne, il faille que nous soyons liés par des liens fédératifs quelconques, qui ne sont pas nécessairement ceux d’aujourd’hui, avec nos voisins. La plupart des nations ont été formées, non par des gens qui voulaient intensément vivre ensemble, mais plutôt par des gens qui ne pouvaient vivre séparément. Ce fut l’esprit de 1867 : ce sera peut-être encore celui de 1967. » Brouillet, Eugénie, Alain-G. Gagnon et Guy Laforest. La conférence de Québec de 1864. 150 ans plus tard. Comprendre l’émergence de la fédération canadienne, Québec, Presses Université Laval, 2016, p. 13-14 (Collection Prisme).

L’esprit de 2017

Quel devra donc être l’esprit de 2017? Je crois que nous devrions tous ensemble Canadiens de toutes origines fondés un pays neuf sur le modèle d’une fédération multinationale qui serait respectueuse des nations qui l’habitent et des femmes qui en constituent le contingent le plus progressiste. Le Canada postnational qu’appelle Justin Trudeau ne pourra exister que sur le socle d’identités solidement ancrées et respectées par tous dans ce pays. Alors nous aurions de quoi fêter en ce 1er juillet.

Bonne fête quand même Canada!

Suggestions de lecture :

Brouillet, Eugénie, Alain-G. Gagnon et Guy Laforest. La conférence de Québec de 1864. 150 ans plus tard. Comprendre l’émergence de la fédération canadienne, Québec, Presses Université Laval, 2016, 374 p. (Collection Prisme).

Harder, Lois et Steve Patten. Patriation and its Consequences. Constitution making Canada, Vancouver, University of British Columbia Press, 2015, 347 pp.

Confederation: Historical Perspectives”, The Canadian Historical Review, vol. 98, issue 2, June 2017,456 p.

« La Confédération canadienne 1867-1967. 150 ans de quoi, au juste? », Argument, Politique, société et histoire, vol. 19, no 2, printemps-été 2017, 238 p.

« L’histoire politique au Québec : un état des lieux » dans Bulletin d’histoire politique, volume 25, no 3, printemps 2017 particulièrement p. 59-102 et p. 124-145.

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