Réjean Ducharme : le géant anonyme

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Date: 23 août 2017
Auteur: Daniel Nadeau

Hier, nous apprenions le décès de l’auteur Réjean Ducharme. Très jeune, il fut consacré grand écrivain, digne de successeur d’Émile Nelligan et de Saint-Denys Garneau, cet auteur avait choisi l’ombre plutôt que la célébrité. Son œuvre est riche et diverse. Comme plusieurs, j’ai découvert Ducharme dans son premier roman publié chez Gallimard, L’avalée des avalés. Une époque où l’on apprenait et découvrait la littérature québécoise dans les collèges, ce qui est moins vrai aujourd’hui.

Réjean Ducharme est l’antithèse de notre époque. Il fuyait la lumière et se réfugiait dans l’anonymat pour laisser toute la place à son œuvre. Un choix qui serait difficile à faire aujourd’hui à l’ère des réseaux sociaux et de la recherche de la célébrité que consacrent des émissions comme La Voix qui sont parmi les plus populaires aujourd’hui au Québec.

L’œuvre de Réjean Ducharme parle fort. Relisons ensemble quelques passages de L’avalée des avalés :

« La vie ne se passe pas sur la terre, mais dans ma tête. La vie est dans ma tête et ma tête est dans la vie. Je suis englobante et englobée. Je suis l’avalée de l’avalé. 

Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. Le visage de ma mère est beau pour rien. S’il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent à rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespère. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit. »

Outre ce roman magistral, Ducharme nous a laissé une œuvre remarquable parmi laquelle on retrouve d’autres romans, des chansons, des collaborations au cinéma. Ducharme aimait beaucoup jouer avec les mots. Il aimait inventer un langage neuf et il était profondément enraciné dans une culture québécoise de souche canadienne-française.

On sait peu de choses de l’homme, mais c’est peu important, car il nous laisse une œuvre magistrale qu’il voulait lui-même plus importante que lui-même. Réjean Ducharme un artiste plus grand que nature. Un géant de notre culture. Un homme libre de la société qui a bien tenté de l’enferrer dans ses codes, mais il a plutôt choisi de lui imposer son œuvre.

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