Espace public, opinion publique et commémoration

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Date: 28 août 2017
Auteur: Daniel Nadeau

Un nouveau débat semble vouloir s’insinuer dans l’espace public canadien et on voit poindre une mouvance de l’opinion publique qui souhaite que l’on réécrive l’histoire. Je fais ici allusion au débat qui pointe à l’horizon quant au retrait de certains noms de personnages historiques qui ont fait l’histoire du Canada en s’appuyant dur nos valeurs d’aujourd’hui. Ce débat fait présentement rage chez nos voisins du sud : les États-Unis d’Amérique où l’on déboulonne des statues et des monuments de personnages comme le général Lee pour son rôle joué dans l’esclavagisme américain.

On ne nomme pas pour l’instant des personnages comme Georges Washington et Jefferson qui ont été, selon l’histoire de grands présidents, mais qui possédaient des esclaves. Imaginez si l’on décidait pour ce type de motifs de renommer la ville de Washington…

Au Canada, récemment, l’édifice Louis-Hector Langevin a été rebaptisé. Son rôle dans les politiques indiennes et surtout dans les pensionnats autochtones aura eu raison de sa visibilité dans notre espace public. Certains veulent maintenant faire disparaître le nom du premier « Premier ministre du Canada » de l’espace public. On juge scandaleux ans certains milieux que son nom soit donné à une école. Mais où s’arrêtera cette novpolitique digne des rêves orwelliens les plus fous imaginés dans son célèbre roman 1984. C’est une chose de vouloir remettre en perspective les réalisations des personnages d’hier dans notre histoire, mais une toute autre que de vouloir les effacer de notre passé comme s’ils n’avaient jamais existé.

C’est le propre des dictatures de réécrire l’histoire et d’y gommer toute référence à un passé que l’on a voulu vaincre par l’instauration d’un nouveau régime. C’est ce qu’ont fait les révolutionnaires français dans le sillage de la Révolution française, les Russes de Lénine après la chute de la monarchie, les Chinois sous Mao Tsé-Toung et de nombreux autres exemples.

Si l’on peut s’attendre à ce type d’événements dans le cadre de dictatures et de révolutions violentes, c’est plus étonnant de vivre ces phénomènes dans les démocraties libérales occidentales.

L’histoire n’est pas une science exacte et de nouvelles générations réécrivent toujours l’histoire à leur façon et avec leurs sensibilités propres, mais de là à effacer de nos mémoires des personnages et des événements en fonction de nos valeurs d’aujourd’hui, il y a la une limite à ne pas franchir. Il faut plutôt profiter des nouvelles recherches et des nouvelles perspectives pour faire de la pédagogie du public sur le sens à donner à ces personnages et ces événements dans notre vie d’aujourd’hui et d’y tirer des leçons des trajectoires empruntées et des destinations nouvelles à choisir.

Plutôt que de retirer les noms des Macdonald et Langevin, il faut préférablement expliquer en quoi leurs actions et leurs décisions d’hier seraient incompatibles aujourd’hui et comment ces décisions et ces comportements ne seraient plus acceptables aujourd’hui. Si on réécrit l’histoire en effaçant de nos mémoires collectives des événements et des personnages historiques parce que nous désapprouvons leurs actions, dites-moi comment feront les prochaines générations pour réécrire à leur tour notre histoire sans qu’elles aient en main toutes les informations pour comprendre où ils sont et pourquoi ils en sont là.

La réécriture de l’histoire en fonction des valeurs actuelles ne peut que donner un cauchemar pire encore que celui qu’avait imaginé Georges Orwell dans 1984. Nous devrions avoir la sagesse collective de ne pas emprunter cette voie.

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