L’immigration : épouvantail de l’opinion publique

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Date: 10 novembre 2017
Auteur: Daniel Nadeau

La décision du gouvernement du Canada d’augmenter les taux d’immigration fait l’objet de nombreux commentaires de la part des observateurs et des analystes de la politique canadienne et québécoise. Dans son plan pluriannuel sur la question, le gouvernement canadien indique, comme le rapportait le quotidien Le Devoir, que le nombre d’immigrants passerait de 300 000 en 2017 à 340 000 en 2020 : « Le gouvernement fédéral haussera graduellement les seuils annuels d’immigration au Canada, qui passeront de 300 000 cette année à 340 000 d’ici 2020. En vertu de son “plan pluriannuel” des niveaux d’immigration, dévoilé mercredi, le Canada accueillera 310 000 nouveaux venus en 2018, puis 330 000 en 2019 et 340 000 en 2020 ».

Il n’en fallait pas plus pour que les chantres de la mouvance nationaliste québécoise s’en indignent et crient au naufrage et à la dissolution du Québec français dans le grand tout multiculturel canadien de Justin Trudeau. À preuve, ce commentaire du jeune intellectuel nationaliste Mathieu Bock-Côté dans Le Journal de Montréal : « Le gouvernement fédéral annonçait récemment son intention d’augmenter encore les seuils d’immigration. D’ici 2020, il passera de 300 000 à 340 000 immigrants par année. C’est la logique du toujours plus qui prévaut à Ottawa. Elle est conforme à la vision du pays dominante et que Justin Trudeau revendique fièrement : le Canada n’aurait d’autre identité que son multiculturalisme. Au Canada, nous serions tous des immigrants. »

Il ajoute dans sa chronique d’hier intitulée La noyade : « L’immigration massive condamne à terme le français et rend impossible l’indépendance. Concrètement, elle pose un cadenas démographique sur l’avenir politique du peuple québécois. On serait en droit de s’attendre à ce que ceux qui prétendent le défendre dénoncent la politique migratoire d’Ottawa. »

Ainsi, selon Bock-Côté, le nationalisme québécois ne serait pas soluble dans l’immigration. Une vision étroite des choses qui présente un visage d’un nationalisme québécois défensif plutôt que moderne.

Ce n’est pas d’hier que l’on agite la question de l’immigration comme un épouvantail. Faut-il rappeler que la grande émigration juive du début du 20e siècle en provenance de la Russie dans la foulée de l’insurrection de 1905 contre le pouvoir impérial avait suscité aussi des craintes dans les mouvements nationalistes québécois. Craintes qui ont connu leur apogée dans les années 30 sous le leadership d’un certain Adrien Arcand. Même Pierre Elliott Trudeau, jeune étudiant alors, avait été contaminé par cet état d’esprit défensif si nous en croyons certains de ses biographes parmi les plus sérieux. (Max Nemni et Monique Nemni, Trudeau fils du Québec, Père du Canada, Montréal, Éditions de l’homme, 2011, 2 volumes.)

Pourtant la communauté juive de Montréal a connu une croissance de ses effectifs sans précédent au début du 20e siècle à Montréal. Durant ces années, le nombre d’immigrants a atteint un peu plus de 400 000 nouveaux venus à la veille de la Première Guerre mondiale. En 1913, la population canadienne est composée à fin des années 1910 de tout près de 22 % de résidents nés à l’étranger. Le Canada a connu dans ces temps de grandes années de prospérité économique. L’ouest du pays s’est développé et la communauté juive de Montréal s’est très bien intégrée à la population canadienne et même à la société francophone du Québec. (Pierre Anctil, Histoire des Juifs au Québec, Montréal, Boréal, 2017, p. 83). Communauté aux visages multiformes, la communauté juive s’est souvent montrée à l’avant-garde des mouvements syndicaux et a contribué à bâtir une culture yiddish à Montréal. Bref, la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu au 20e siècle, pas plus qu’elle n’aura lieu en 2020.

Par ailleurs, le Québec grâce à l’entente McDougall-Gagnon-Tremblay a un parfait contrôle sur sa politique d’immigration tant pour le nombre de candidats admis que pour leurs origines. Plutôt que d’agiter des épouvantails, il vaudrait beaucoup mieux que nous soyons créatifs et efficaces dans nos politiques d’intégration des nouveaux arrivants. Par ailleurs, le gouvernement du Québec devrait lancer une réflexion collective sur les bienfaits et l’apport des immigrants à notre épanouissement collectif plutôt que ces vains débats sur l’identité et le repli défensif sur nous-mêmes. La meilleure preuve que je peux apporter de la faisabilité d’une telle approche c’est l’hommage bien senti rendu ces derniers jours au poète et chanteur Leonard Cohen par le Québec tout entier, toutes origines confondues. Leonard Cohen vient du sérail de la communauté juive. Son père était un riche capitaliste et l’un des fondateurs du Congrès juif du Canada et du Jewish Journal. Peut-on donner un plus bel exemple d’une intégration réussie à notre société québécoise inclusive? L’immigration constitue un enjeu important pour l’avenir de la société québécoise et de la société canadienne. Ce n’est pas en proposant le repli et l’exclusion que nous parviendrons à quelque chose.

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