La dématérialisation de l’objet culturel

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Date: 15 novembre 2017
Auteur: Daniel Nadeau

Il se passe rarement un jour sans que l’on aborde la question de la dématérialisation du monde. Dans le métier des relations publiques, le triomphe du monde virtuel a fait jusqu’à maintenant beaucoup de ravages sur les façons de voir et d’en aborder la pratique. Les médias ne sont plus ce qu’ils étaient. Les imprimés cèdent peu à peu la place à de nouveaux médias virtuels. Chez nous, le quotidien La Tribune a choisi de vivre ce nouveau monde dans une forme hybride. Le Web prend de plus en plus de place. La société en réseaux fait des ravages sur le métier de journalistes. Il est de plus en plus difficile pour un locuteur dans l’espace public d’imposer son point de vue. Nous devons faire face à de multiples intervenants qui commentent l’actualité en invoquant bien souvent des nouvelles inventées de toutes pièces. Les anciennes façons de débattre sont remplacées dans l’espace public par une culture du complot et par l’omniprésence des haters.

Ce qui est vrai pour le métier des relations publiques et celui de journalistes n’est pas moins vrai dans le monde du livre. Le dernier bastion des lettrés issus du siècle des Lumières. Dans un livre publié en 2015 en France sous la direction de Cédric Biagini aux éditions de l’Échappée, une vingtaine d’auteurs font le point sur la disparition imminente du livre tel que nous l’avons connu. Intitulé L’assassinat des livres par ceux qui œuvrent à la dématérialisation du monde, ce collectif d’auteurs prend la défense de ce bon vieil objet qu’est le livre imprimé; « … cet ouvrage traite du changement du rapport à celui-ci (le livre), en tant qu’objet symbolique, et à la lecture, pratique encore au cœur de notre culture qui permet d’apprendre, de s’instruire, de s’élever et de se construire… aujourd’hui mise en danger par le développement des technologies qui détruisent notre attention et nos capacités de concentration » (Cedric Biagini, coordonnateur, L’assassinat des livres par ceux qui œuvrent à la dématérialisation du monde, Coll. : Frankestein, Paris, éditions l’Échappée, 2015, p. 9).

C’est un véritable plaidoyer que nous livre les auteurs à la faveur de la défense du livre tel que nous le connaissons : « Le livre, dans sa linéarité et sa finitude, dans sa matérialité et sa présence, constitue un espace silencieux qui met en échec le culte de la vitesse, permet de maintenir une cohérence au milieu du chaos. Point d’ancrage, objet d’inscription pour une pensée critique et articulée, hors des réseaux et des flux incessants d’informations et de sollicitations, il est peut être le dernier lieu de résistance. » (loc. cit.)

Je suis solidaire avec ces auteurs et je dis avec eux que nous devons appeler à la résistance : « Un peuple du livre, réfractaire aux illusions numériques, qui défend ce pour quoi il se bat au quotidien, à contre-courant de processus qui endommagent nos capacités de lecture, de contemplation, de réflexion, d’écoute et d’abandon esthétique, pourtant si nécessaires à la construction de soi et au bien-être collectif. » (loc. cit.)

Sans paraître pour des conservateurs qui refusent le progrès, nous devons combattre la dématérialisation de l’objet culturel. Cet appel à la résistance est aussi un combat pour la démocratie et la liberté quoique l’on puisse en penser. Lisons encore les sages écrits de Cédric Biagini dans la présentation de ce recueil au titre provocateur et à escient trompeur : « Nous disposons de suffisamment de recul ─ la révolution numérique se déroulant à une vitesse fulgurante ─ et d’outils d’analyse pour comprendre que la dématérialisation du livre ne consiste pas à augmenter la diffusion des textes et de la lecture, mais bien à liquider l’esprit dont l’imprimerie est à l’origine. Nous changeons de monde, et celui qui se dessine attise la soif de divertissement et de loisirs, exacerbe les pulsions consuméristes, atomise et désoriente les individus, voue un culte à la vitesse, détruit les facultés de se concentrer, de mémoriser, de penser, tue la créativité et l’imagination… Il se produit le contraire de ce que les grands discours qui accompagnent le déploiement du numérique voudraient nous faire croire. » (ibid. p. 17)

Il faut comprendre ce qui nous arrive si l’on veut être en mesure de choisir l’humain et le bien commun plutôt que le mirage d’une nouvelle économie libératrice qui jusqu’à maintenant détruit tous nos repères pour les remplacer par le spectacle, le divertissement et le culte à l’immatérialité.

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