Les grandes figures oubliées de l’espace public québécois

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Date: 27 février 2018
Auteur: Daniel Nadeau

Jean Le Moyne

Malgré notre devise, « Je me souviens », nous avons tendance à oublier de larges pans de notre histoire. Se souvenir d’où l’on vient est pourtant un passage obligé pour comprendre ce que nous sommes, et surtout savoir l’où on va. Par exemple, nous croyons à tort que la Révolution tranquille est née dans les années 1960 avec l’élection du gouvernement Jean Lesage. On oublie aisément le « désormais » prononcé par Paul Sauvé. On occulte aussi tous le mouvement intellectuel catholique qui a percolé au Québec pendant les années 1930.

Parmi les intellectuels marquants de cette époque, nous retrouvons l’intellectuel Jean Le Moyne. Intellectuel canadien-français que l’on associe à la revue La Relève, il fut étroitement associé au poète Saint-Denys Garneau. Jean Le Moyne a été totalement oublié à notre époque même s’il avait développé une conception spirituelle de l’homme et de la société que l’on peut considérer comme progressiste.

Dans un livre publié en 2017 aux Presses de l’Université Laval (PUL) sous le titre Rencontre de Jean Le Moyne, le mauvais contemporain. Essai, Caroline Quesnel nous livre un essai passionnant sur ce penseur associé à l’Institution littéraire québécoise. Caroline Quesnel nous le situe : « on pense spontanément à sa participation au groupe de la revue La Relève ou à sa relation amicale et littéraire avec le poète Saint-Denys Garneau; on peut aussi penser à son recueil d’essais Convergences, publié en 1961 ». (Caroline Quesnel, Rencontre de Jean Le Moyne, le mauvais contemporain. Essai, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 1) Tour à tour, chroniqueur, recherchiste et scénariste puis membre de la garde rapprochée du premier ministre canadien, Pierre Elliott Trudeau, en tant que rédacteur de discours, Jean Le Moyne a été un intellectuel gigantesque bien qu’il fut relégué au second plan.

Profondément religieux, Jean Le Moyne a vu l’influence de son œuvre datée, car elle fut trop associée à une dimension spirituelle : « Ironiquement, c’est précisément sa dimension spirituelle qui fait paraître aujourd’hui son œuvre datée, indissociable du passé. La Révolution tranquille et l’évolution de la société québécoise ont creusé depuis plus de cinquante ans une distance toujours grandissante avec ses références savantes, son optimisme cosmique et ses conceptions totalisantes » (Ibid. p. 212). Influencé par Paul de Tarse, Le Moyne était paulien. Il a aussi fréquenté un temps les écrits de Jacques Maritain et plus tard de Teilhard de Chardin. Le Moyne voulait associer le spirituel et le temporel en rompant avec la pensée dualiste chrétienne.

Amant des arts et de la musique, Le Moyne était un violent critique du monde dans lequel il vivait. Il avait une grande indépendance d’esprit et était un grand pourfendeur du nationalisme, ce qui en faisait un candidat de choix pour écrire les discours de Pierre-Elliott Trudeau.

Quoi qu’il en soit, « il reste que la relecture de l’œuvre de Le Moyne a permis de dissiper les principaux malentendus entretenus à son sujet, que ce soit sa participation à La Relève, sa phobie du dualisme, sa colère liée à la mort de Saint-Denys Garneau ou son exécration du nationalisme. » (Ibid. p. 219.)

Aujourd’hui, l’œuvre de Le Moyne a presque sombré dans l’oubli. Ce qui ne veut pas dire que Le Moyne ne fut pas un écrivain magnifique et qui aux dires de Gilles Marcotte fut l’un des plus grands prosateurs du Québec (Loc. cit.).

Malgré la distance de valeurs de Le Moyne avec celles qui prévalent aujourd’hui, la lecture de l’essai de Caroline Quesnel mérite le détour. Ne serait-ce que pour comprendre que : « l’institution littéraire a peut-être retranché de son corpus un peu trop vite cette œuvre catholique, certes exigeante, mais novatrice et cohérente, qui mérite une nouvelle lecture critique. » (Op. cit. p.220) J’en suis!

 

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