Les grandes figures oubliées de l’espace public québécois

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Date: 5 juin 2018
Auteur: Daniel Nadeau

Sir Louis-Hippolyte La Fontaine

À l’approche d’élections au Québec et à une époque où l’on remet en question l’héritage canadien-français du Québec contemporain en faisant de notre attachement à notre héritage, il est de bon ton de rappeler la grande figure que fut Sir Louis-Hippolyte La Fontaine. Né en 1807 d’un père menuisier, Sir Louis-Hippolyte La Fontaine fut une figure marquante du 19e siècle québécois.

Avocat et homme politique, il épousa la fille d’Amable Berthelot en 1831. Berthelot était alors une figure avantageusement connue, riche avocat, bibliophile et homme politique influent. Cela a alors permis au jeune La Fontaine de jeter les bases d’une fortune et d’une carrière juridique importante. Lié d’amitié avec Ludger Duvernay et Augustin Norbert-Morin, La Fontaine publia dans le journal La Minerve ses commentaires juridiques et politiques. À la fin des années 1820, La Fontaine s’implique activement dans les campagnes électorales. En 1830, il entre en politique active et se fait élire député de Terrebonne à la chambre d’Assemblée du Bas-Canada. Il y sera facilement réélu en 1834.

Il fut connu rapidement à la chambre d’assemblée du Bas-Canada en s’illustrant aux côtés des Louis Bourdages et Louis-Joseph Papineau. Il prit une part active dans l’agitation qui marqua l’élection de Daniel Tracey sur la Place d’armes en 1832. Il fut l’auteur de plusieurs textes polémiques à la défense du Parti patriote dont Les deux girouettes ou L’hypocrisie démasquée dans la foulée de la nomination au Conseil Législatif et de l’opposition de l’un d’eux aux 92 résolutions des frères Mondelet. La Fontaine fut un porte-parole efficace du point de vue des patriotes et aussi un anticlérical avoué que l’on peut percevoir dans son pamphlet Notes sur l’inamovibilité des curés dans le Bas-Canada. Jusqu’en 1837, La Fontaine participait aux assemblées houleuses du Parti patriote, en veste d’étoffe du pays et habillé à la mode patriote.

Puis dans la foulée des troubles de 1837-1838, La Fontaine s’affirma comme l’homme du compromis et un adroit porte-parole de la cause patriote. Il y défendit auprès des autorités britanniques l’amnistie générale pour les coupables de la rébellion et une indemnité pour ses victimes. Il prôna aussi le rétablissement de la chambre d’assemblée abolie en 1838. Pour La Fontaine, cela constituait un outil essentiel pour rétablir la paix dans le pays : « En tant que sujets britanniques, les Canadiens français ont droit à l’Assemblée. Le jeune politicien insiste donc sur la restauration de cette législature, supprimée en mars 1838. “Sans elle, écrit-il à son ami Berthelot, nous deviendrons à coup sûr de vrais Acadiens”, incapables légalement de réformer leurs institutions et d’influencer leur destin. Sujets britanniques, les Canadiens français avaient donc le droit, à l’Assemblée, d’exercer leur influence prépondérante et majoritaire sur le gouvernement.

Selon lui, si le parti canadien avait été admis au conseil du gouverneur, les troubles auraient été évités et l’harmonie politique et la paix sociale maintenues aisément. “C’est une grande erreur, affirme-t-il dans une lettre à Ellice, de croire qu’il n’y a pas de moyen de rapprochement entre les deux partis. […] Je n’hésite pas à répéter ce que j’ai si souvent dit, en Canada comme en Angleterre, qu’il est facile de rétablir l’harmonie dans les masses des deux partis politiques, car leurs intérêts sont les mêmes. C’est même un besoin senti depuis longtemps. Que l’administration locale cesse, dans tous ses rapports administratifs ou sociaux, de faire et de soutenir des distinctions de race, et qu’elle marche franchement vers une politique libérale, mais ferme, et aussi des actes de favoritisme envers des classes privilégiées. Vous verrez l’harmonie se rétablir plus vite qu’on ne le pense. La Fontaine est d’ailleurs convaincu que c’est en réunissant en un seul parti les Bas-Canadiens français et anglais que se réalisera la transformation libérale des institutions, dans le meilleur intérêt des Canadiens et de la Grande-Bretagne. Les ‘troubles politiques’ étant dus à une habitude discriminatoire du gouvernement, leur suppression proviendra de l’application intégrale des principes de la constitution britannique selon laquelle des distinctions politiques sont fondées dans les ‘opinions’ plutôt que dans les ‘origines’. Alors, comme le ‘gouvernement bâtard, contre nature’ d’avant 1837 avait encouragé les chefs canadiens à regarder vers les institutions républicaines des États-Unis, ainsi à l’avenir, ‘la plus saine politique est de nous laisser rien à leur envier’ ».

Pour La Fontaine, il fallait donner la priorité aux opinions plutôt qu’aux origines ethniques. Ce n’est pas étonnant de le retrouver plus tard à la tête d’un gouvernement d’union avec Baldwyn. La Fontaine fut un des pères de la survivance et un des acteurs les plus importants du mouvement réformiste dont l’historien Éric Bédard a écrit l’histoire.

Pour La Fontaine, le réformisme est la voie d’avenir. Dans sa biographie dans le Dictionnaire biographique du Canada, Jacques Monet écrit : « Le 25 août 1840, moins de dix jours après l’arrivée de la nouvelle que l’Union avait reçu la sanction royale, La Fontaine publia son “Adresse aux électeurs de Terrebonne”, dans laquelle il se révèle un politique réaliste et adroit en apportant les distinctions suivantes sur le projet d’Union. Si certains la repoussent, écrit-il, “s’ensuit-il que les Représentants du Bas-Canada doivent s’engager d’avance, et sans garanties, à demander le rappel de l’Union? Non, ils ne doivent pas le faire. Ils doivent attendre, avant d’adopter une détermination dont le résultat immédiat serait peut-être de nous rejeter, pour un temps indéfini, sous la législation liberticide d’un Conseil Spécial, et de nous laisser sans représentation aucune.” Selon La Fontaine, l’Union permettra la fondation d’un parti basé plutôt sur des principes réformistes que sur la nationalité : “Les Réformistes, dans les deux provinces, forment une majorité immense […]. Ils [ceux du Haut-Canada] doivent réclamer contre des dispositions qui asservissent leurs intérêts politiques et les nôtres aux caprices de l’Exécutif. S’ils ne le faisaient, ils mettraient les Réformistes du Bas-Canada dans une fausse position à leur égard, et s’exposeraient ainsi à retarder les progrès de la réforme pendant de longues années. Eux, comme nous, auraient à souffrir des divisions intestines qu’un pareil état de choses ferait inévitablement naître. Cependant notre cause est commune. Il est de l’intérêt des Réformistes des deux provinces de se rencontrer sur le terrain législatif, dans un esprit de paix, d’union, d’amitié et de fraternité. L’unité d’action est nécessaire plus que jamais.” C’est l’Union aussi qui rendra possible la responsabilité ministérielle, promise au Haut-Canada, mais refusée au Bas-Canada. “Pour moi, ajoute La Fontaine, je n’hésite pas à dire que je suis en faveur de ce principe anglais de gouvernement responsable. Je vois, dans son opération, les seules garanties que nous puissions avoir d’un bon gouvernement constitutionnel et effectif. Les colons doivent avoir la conduite de leurs propres affaires. Ils doivent diriger tous leurs efforts dans ce but; et pour y parvenir, il faut que l’administration coloniale soit formée et dirigée par et avec la majorité des Représentants du peuple”. La conclusion était nette : l’Union était le prix qu’il fallait payer pour obtenir le gouvernement responsable… »

La Fontaine fut un grand défenseur de la langue française. Lisons encore Jacques Monet nous raconté cela : « L’habileté politique de La Fontaine apparaît également dans l’utilisation qu’il fit de la question linguistique. La proscription du français comme langue officielle par l’Acte d’Union avait été l’un des points les plus importants de la politique impériale d’assimilation et elle était probablement la mesure qui offensait le plus les Canadiens français. Conscient de l’inquiétude de ceux-ci, La Fontaine s’efforça d’associer son parti à la question de la langue et réussit ainsi à se gagner l’appui le plus complet de ses partisans. Il est vrai que si l’Acte d’Union n’autorisait pas l’usage officiel du français, les francophones se rendaient compte que, dans leurs activités quotidiennes, la loi avait peu d’effet. Ils continuaient de parler le français, de l’enseigner dans leurs écoles et leurs journaux l’utilisaient. En outre, bien que la langue française n’était pas reconnue officiellement au parlement, des fonctionnaires bilingues comme Étienne Parent, à l’instar de La Fontaine, rédigeaient leurs rapports en français, tandis que des notables tels que les évêques de Québec et de Montréal écrivaient dans leur langue maternelle au gouverneur général en poste et à son secrétaire. Plusieurs hommes politiques francophones prononcèrent leur premier discours au parlement en français. Et lorsque s’ouvrit la seconde législature de l’Union, en 1844, sir Charles Metcalfe restaura une vieille coutume du Bas-Canada en faisant lire par le greffier du Conseil législatif une version française officielle du discours du trône. Ce fut cette année-là que La Fontaine, chef de l’opposition, entreprit de mettre en évidence le problème linguistique – dans l’intention, dirent ses ennemis, de “s’attirer des applaudissements” ».

Bref, Sir Louis-Hippolyte La Fontaine fut un ardent réformiste et un défenseur acharné de la nationalité et de la langue canadienne-française. Il était un politicien modéré et croyait que les institutions britanniques étaient notre planche de salut pour survivre comme peuple distinct en Amérique du Nord. Louis-Hippolythe La Fontaine, une figure marquante du 19e siècle québécois et surtout un pionnier de l’histoire de notre peuple en Amérique du Nord.

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