Le vide de l’espace public québécois

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Date: 16 octobre 2018
Auteur: Daniel Nadeau

Nous venons de vivre au Québec une campagne électorale. C’est aujourd’hui que seront assermentés les soixante-quatorze élus de la Coalition avenir Québec qui a remporté l’élection. Sans rien enlever aux mérites de cette équipe, on ne peut passer sous silence que la dernière campagne électorale ne fera pas l’histoire. Cette campagne fut dénuée de vrais débats et les enjeux ont souvent tourné autour de fait divers ou de guerres de personnalités. Ce n’est pas dû nécessairement à la faute des partis politiques, ni seulement à la couverture des médias. C’est un peu le résultat du vide actuel de notre vie en commun caractérisé par l’absence d’horizons partagés et d’objectifs en commun.

Des auteurs d’ailleurs dissertent sur cette question. J’écoutais dimanche soir dernier le philosophe français Raphaël Glucksmann sur les ondes de TV5 à l’émission On n’est pas couchés de l’animateur Laurent Ruquier. Glucksmann était venu présenter son dernier essai intitulé; Les enfants du vide, de l’impasse individualiste au réveil citoyen aux éditions Allary. Le fils d’André Glucksmann qui fut l’un des pères du courant des nouveaux philosophes dans les années 1970 nous a donné un ouvrage rafraîchissant qui a pour message principal que : « la politique c’est quand un peuple se réunit et peut inverser le cours des choses ».

Son propos se résume à décrire la vie des enfants du vide. Qui sont ces enfants du vide? Lisons-le dans le texte d’une entrevue qu’il a accordé à France Inter : « C’est vous, c’est nous, c’est toute cette génération qui est née dans un monde, post-idéologique, post-historique post-tragique », explique-t-il. « Contrairement à nos parents qui sont nés dans une période tumultueuse où la vie et l’univers était saturée de dogmes (…), où ont brisé ces idoles pour pouvoir respirer, pour pouvoir penser librement, ils ont brisé des chaînes. Nous on est dans une situation complètement différente complètement opposée même : on est dans le vide de l’idéologie on est dans l’absence de structure collective. On est en fait dans un monde on doit se prendre soi-même comme horizon de tout dans notre vie, et c’est ce vide-là que moi je cherche à explorer. »

Une émission comme On n’est pas couché qui est une véritable émission phare en France nous manque ici au Québec. Pour une fois, je ne peux qu’être en accord avec le chroniqueur Mathieu Bock-Côté qui lui avait consacré une chronique le 6 octobre 2015. Relisons ce qu’il en disait qui est encore actuel : « Il y a quand même là quelque chose de vivifiant pour une société comme la nôtre, aussi coincée lorsque vient le temps de débattre publiquement. Dans une société aussi consensuelle que le Québec, un débat, c’est moins l’affrontement assumé, mais civilisé de deux points de vue qu’une manière originale de les réconcilier en finissant avec des câlins et un grand rire. Pour les Français, c’est un peu le contraire. Si on ne s’affronte pas, on s’endort. Philosophes et écrivains font la une des hebdomadaires. Il y a de quoi rêver. Qu’on ne se trompe pas. Ce n’est pas d’une émission faite pour les intellectuels par des intellectuels. Elle n’a rien à voir avec la légendaire émission Apostrophe, avec Bernard Pivot, qui longtemps a fait la gloire de la France. Mais c’est une émission qui leur fait une place dans la vie publique et qui donne pour cela un angle original à l’actualité. La vie des idées a sa place au cœur de la cité. Il faut dire que la France est bien singulière. C’est un des rares pays où un livre peut encore provoquer un tremblement de terre, comme on l’a vu ces dernières années avec L’identité malheureuse d’Alain Finkielkraut, Le suicide français d’Éric Zemmour ou Soumission de Michel Houellebecq. En France, philosophes et écrivains font la une des hebdomadaires. Il y a de quoi rêver. Nous partons de loin chez nous. Comme si les idées étaient de trop dans la vie publique et devaient vivoter dans les marges. À la radio, on ne trouve aucune émission sérieusement consacrée au monde des livres. On s’imagine qu’un livre est un produit culturel aussi exotique qu’ennuyant. On laissera les initiés en parler entre eux, mais on ne croira pas qu’il peut éclairer le commun des mortels. »

On peut espérer tout comme Bock-Côté que l’une des retombées de cette campagne électorale qui vient de se terminer redonne au Québec le goût de débattre. Je partage entièrement la conclusion de la chronique de Bock-Côté consacré à cette émission bien française : On n’est pas couché : « Je rêve d’une ouverture de notre espace médiatique à un plus grand sens du conflit, de la confrontation. Non pas la chicane pour la chicane, où chacun se hurle à la tête. Un vrai débat n’est pas un festival de ruades, où chacun cherche à en finir une fois pour toutes avec son adversaire. C’est le moment d’éclaircir un désaccord de fond entre des visions du monde contradictoires. Peut-on espérer une plus grande ouverture de nos médias à la vie intellectuelle et à la multiplication des débats de fond? Qui sait, si un plus grand nombre de Québécois écoutait On n’est pas couché, cela pourrait leur en donner envie. »

Si on débattait de vrais enjeux pour vaincre le vide de l’espace public québécois?

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