Coquelicot blanc

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Date: 12 novembre 2018
Auteur: Daniel Nadeau

Hier, on célébrait le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. De nombreux dignitaires de tous les pays se sont rendus en France pour souligner l’événement. Cela se passe pendant la période jusqu’au 11 novembre où l’on célèbre la mémoire de nos anciens combattants qui culminerait le 11 novembre avec la journée de l’armistice. Depuis 1921, le coquelicot rouge est porté à la mémoire des soldats morts à cette guerre et les fonds recueillis par sa vente vont au Haig Fund qui vient en aide aux vétérans et à leur famille. Quant à lui, le coquelicot blanc a été lancé comme symbole de paix pour la première fois en Angleterre en 1933 par la Co-operative Women’s Guild (CWG). Il visait à commémorer toutes les victimes de la guerre, aussi bien civiles que militaires. Depuis, il est devenu un symbole de lutte pour la paix dans plusieurs pays, notamment dans les pays du Commonwealth.

Au Québec et au Canada, « la campagne des coquelicots blancs prend son essor en 1998, à la suite de la publication d’un article dans le bulletin de Conscience Canada, un groupe d’objecteurs de conscience qui invite à retenir la part d’impôts qui sert aux dépenses militaires. L’année suivante, un dépliant d’appui à cette campagne a circulé parmi des groupes qui militent pour la paix dans différentes régions du pays. Un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale, Frank Knelman, expliquait alors qu’il voulait non seulement se souvenir de ceux qui ont combattu et souffert comme soldats, mais qu’il travaille à empêcher la guerre et à mettre fin au militarisme. “Je veux me souvenir que 95 % des victimes dans les guerres modernes sont des civils”, disait-il. Au Québec, en 2011, le Collectif Échec à la guerre décide d’emboiter le pas et de lancer la campagne annuelle du coquelicot blanc pour rappeler que les victimes des guerres – toutes les personnes tuées, blessées, emprisonnées, déplacées, réfugiées, violées – sont non seulement des militaires, mais aussi, et surtout, des civiles. »

Pour célébrer la mémoire de celles et ceux qui sont morts à cause des guerres tant les civils que les militaires, il faut rappeler le Québec, Printemps 1918. « Le monde est plongé dans l’horreur de la Grande Guerre. Réputée pour sa tranquillité, Québec sombre aussi dans le chaos. Durant la Semaine sainte, cinq soirées d’émeutes sans précédent frappent la capitale. Des violences provoquées par des opposants à la conscription qui se soldent par les salves d’une mitrailleuse de l’armée canadienne dans Saint-Sauveur, le 1er avril. Les balles ont tué quatre résidents de ce quartier ouvrier, dont un adolescent de 14 ans et deux jeunes au tournant de la vingtaine. L’utilisation d’une vraie mitrailleuse [par l’armée], c’était la première et, je l’espère, la dernière fois que ça se produisait à Québec.

La violence s’est abattue sur la ville de Québec sous fond de haines raciales et de racisme sectaire d’une partie de l’opinion publique canadienne-anglaise entretenue par le discours belliciste du gouvernement conservateur de Robert Borden. »

Comme nous le rappelle le sociologue Fernand Dumont dans la préface qu’il a signée au livre de Jean Provencher : ce texte mérite d’être cité, car rien ne peut mieux résumer le contexte de l’époque : « 1917, 1918, en Ontario, quelques années plus tôt, le Règlement 17 a attenté aux droits des écoles françaises. La guerre mondiale se poursuit, interminable. Le recrutement, la conscription font déferler, chez les anglophones canadiens, les vieilles haines raciales; on réclame l’emprisonnement de ceux qui se sont opposés à la Loi du service militaire; on demande même la suppression du journal Le Devoir et l’exécution d’Henri Bourassa. Aux élections de 1917, les électeurs se sont opposés massivement au gouvernement conscriptionniste et se trouvent pratiquement sans représentation au sein du pouvoir. Des mouvements divers surgissent un peu partout. Des bagarres, des attentats ont lieu à Montréal. Ces manifestations ne se limitent pas à la métropole; elles s’étendent à Shawinigan, par exemple. Et voilà que la ville de Québec est atteinte à son tour, » (Jean Provencher, Québec sous la Loi des mesures de guerre 1918, Préface de Fernand Dumont à l’édition de 1971).

Comme nous le raconte Jean Provencher dans son récit de ces émeutes et les nombreux témoignages que l’on y retrouve, le Québec est profondément pacifiste et contre la violence. Nos compatriotes du siècle dernier ne voulaient pas aller se faire tuer en Europe. Cela remet aussi en question notre capacité de vivre ensemble dans le respect des grandes cultures fondatrices de ce pays. Jamais les humbles familles des quatre Québécois tués injustement et violemment par l’armée canadienne de Sa Majesté n’ont été dédommagées et elles n’ont jamais reçu d’excuses officielles de la part du gouvernement du Canada. Devrait-on oublier et cesser de parler de cet événement?

Refuser l’oubli

Dans sa préface Fernand Dumont a aussi abordé la question de l’oubli. « Que l’on n’en parle plus? On sera reconnaissant à Jean Provencher d’en reparler. L’histoire ne doit pas ressusciter des haines mortes… les peuples ne doivent pas accepter que l’on relègue à l’oubli les témoignages anciens de leur servitude. » (Loc. cit.)

Il est heureux que des médias comme Radio-Canada et d’autres nous rappellent cet événement. D’ailleurs, les émeutes de Québec de 1918 ont déjà fait l’objet de livres, ceux de Fernand Dumont et de Jean Provencher, d’une pièce de théâtre du Théâtre du Trident de Québec sous la direction artistique du comédien, le regretté Paul Hébert, Québec, Printemps 1918. La pièce fut jouée à Québec et fut l’objet d’un téléthéâtre dans le cadre de l’émission phare de l’époque à Radio-Canada, Les Beaux Dimanches. La pièce a été traduite en anglais par l’écrivain américain Leo Skir qui trouvait que la pièce rappelait les événements du 4 mai 1970 à l’université d’État Kent en Ohio où quatre étudiants furent tués par la garde nationale pour s’être opposés à l’intervention américaine militaire armée au Cambodge.

Puis dans les années 1980, des citoyens se sont levés et mobilisés pour ramasser des fonds, 80 000 $ était nécessaire. Aujourd’hui, nous dit l’historien Jean Provencher dans l’avant-propos de la réédition de son livre chez Lux Éditeur, il existe un monument, une œuvre d’art commémorative signée par l’artiste Aline Martineau qui a été érigé en 1998 et la Ville de Québec a créé la place du Printemps-1918.

Sauvegarder notre mémoire

Se souvenir est essentiel pour se rappeler ce que nous sommes et où nous voulons aller. D’ailleurs, notre aversion pour la guerre et l’aliénation de la société québécoise est bien présente dans notre littérature. Il faut évoquer ici l’excellent roman de l’auteur à succès Roch Carrier, son premier publié en 1968, intitulé : La Guerre, yes Sir! Le premier tome d’une trilogie; La trilogie de l’âge sombre. Un roman qui renvoie le Québec à la thématique « de l’opposition entre dominants et dominés, entre faibles et forts, entre francophones et anglophones ». (Aurélien Boivin, La Guerre, yes Sir! ou la guerre des autres/La Guerre, yes Sir!, Montréal, Stanké, 1981, 140 p., Montréal, Québec français, no 96, p. 85).

Il faut aussi se rappeler de l’« émeute de Québec du printemps 1918 » et inviter nos compatriotes québécois arrivés plus récemment à comprendre et à partager cette douleur universelle qui réside dans l’âme québécoise et qui tourne autour de cette strophe de Léo Ferré qui nous habite tous dans un langage universel, Ô ma sœur la violence…

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