Histoire et mémoire

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Date: 29 novembre 2019
Auteur: Daniel Nadeau

Dans sa dernière livraison, l’excellente revue Argument (Argument, politique, société, histoire, vol 22, no 1, automne-hiver 2019-2020) consacre ses efforts à discuter du déboulonnage de nos monuments tant chez nous qu’aux États-Unis dans le cadre d’une discussion sur les liens entre mémoire et histoire.

Dans le texte de présentation du numéro, le professeur d’histoire à l’Université de Sherbrooke Harold Bérubé, qui a assuré la coordination des textes concernant la mémoire mise à mal. Faut-il déboulonner nos statues ?, écrit qu’à la base, ce débat oppose la problématique entre histoire et mémoire. Citant l’historien français Pierre Nora, il opine que mémoire et histoire sont deux termes qui s’opposent : « … l’historien Pierre Nora les présente comme fondamentalement incompatibles, l’histoire cherchant toujours à écarter la mémoire. » (Harold Bérubé, La mémoire mise à mal, dans Arguments, ibid. p. 5)

Ce dont il est question dans ces pages riches en débats c’est de cette époque dans laquelle nous vivons où l’on cherche à rendre lisse notre environnement public et l’expurgeant de toutes traces d’un passé qui pourrait venir heurter nos sensibilités contemporaines de bien-pensants.

Pierre Moreau dans sa contribution au débat risque de l’alimenter en écrivant : « Quand on y pense, n’y a-t-il pas en effet une espèce de disproportion entre d’une part les actions, qui consistent la plupart du temps soit à lancer une pétition dans le cyberespace, soit à aller nuitamment marteler, peinturlurer une statue ou son socle, et d’autre part, le discours qui accompagne ces actions et les idéaux au nom desquels elles sont supposément commises ? On croit agir contre le racisme et le suprémacisme racial, condamner un génocide, etc., et on ne trouve rien de mieux à faire que de s’attaquer à des effigies de personnages morts depuis plus de cent ans… C’est cette déconnexion entre discours et initiatives politiques et le réel qui me semble caractéristique du militantisme progressiste actuel que je qualifie de carnavalesque tout comme au Moyen-Âge, était nommé durant la période qui précédait le carême un roi du carnaval choisi parmi les mendiants, et dont le règne temporaire ne changeait évidemment rien à la situation des pauvres tout au long de l’année. » (Pierre Moreau, En haine des statues. Quelques réflexions sur l’iconoclaste contemporain dans Argument, ibid. p. 52-53).

Bref, un numéro de revue contenant des textes qui ne manqueront pas de susciter les débats et qui ont le mérite, immense à nos yeux, de remettre en perspective ce discours ambiant de bien-pensants qui au nom de la bonne conscience cherche à nous imposer une forme de tyrannie du bien en faisant l’économie des faits complexes et têtus qui harnachent le cours de notre histoire qui elle est complexe et foisonnante. Nous recommandons fortement la lecture de ce numéro d’Argument et surtout d’en débattre avec vos amis.

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