Nous sommes en guerre…

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Date: 27 mars 2020
Auteur: Daniel Nadeau

C’est amusant de prendre conscience que certaines images utilisées par nos porte-parole publics comme métaphore afin de vulgariser leur point de vue ne sont liées à aucun de nos champs référentiels d’expérience. C’est notamment le cas avec l’expression « nous sommes en guerre » utilisée par notre premier ministre Legault concernant notre lutte à la pandémie du coronavirus.

Peu d’entre nous peuvent imaginer ce qu’est vraiment la guerre, à part nos compatriotes membres des forces armées canadiennes qui ont été appelés à se rendre à l’étranger pour mener des guerres contre les terrorismes notamment en Afghanistan ou en Syrie. Outre ces militaires de profession peu d’entre nous savent vraiment ce que peut représenter la guerre. Nous sommes d’une génération qui n’a pas connu la guerre contrairement à nos arrière-grands-parents. Bien sûr, nous pouvons nous en faire une idée par la littérature, le cinéma ou les essais historiques, mais cela ne fait pas de nous des connaisseurs de ce que peut représenter la guerre.

D’ailleurs au Québec, plus qu’ailleurs en Amérique, nous avons un problème avec la notion de guerre. Le discours historiographique en fait la démonstration. Au Québec, nous nous sommes toujours montrés très tièdes envers la réalité historique de la guerre. Cela tient à notre rapport à la conscription tant à la Première Guerre mondiale qu’à la seconde. Ainsi pour les Canadiens la figure de déserteur est celle d’un lâche ou d’un traître à sa patrie alors que pour nous Québécois c’est un héros qui a bravé le pouvoir de l’autorité fédérale anglophone.

Le cinéaste Jacques Godbout en donne une explication toute simple en parlant de la Seconde Guerre mondiale : « C’est qu’au Québec, contrairement au reste du Canada, la population dénonçait la conscription. Ceux qui s’affichaient en faveur de la guerre étaient des traîtres, alors que ceux qui refusaient de s’enrôler et qui se cachaient dans le bois pour échapper à la conscription étaient des patriotes. On divisait le Québec en deux : les bons et les méchants. Or, rien n’est jamais simple. Même aujourd’hui, nous continuons d’interpréter l’histoire en utilisant cette grille binaire. Mais peut-on vraiment être patriote en refusant de se battre ? » (Tommy Chouinard, « Traître ou patriote, de Jacques Godbout : trou de mémoire » dans Voir, 13 septembre 2000 — Cité par Luc Bertand, Le dernier assaut. La vie du lieutenant Jean Brillant, VC, MC, Québec, Septentrion, 2020, p.16)

Nous sommes en guerre n’est donc pas une formule métaphorique qui parle aux Québécoises et aux Québécois et si elle le fait elle n’est pas si positive étant donné notre rapport à la guerre et à la conscription dans l’histoire du Québec. Avis aux rédacteurs de textes et de discours…

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