Un cas concret d’espace public : l’Ontario au 19e siècle

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Date: 16 avril 2020
Auteur: Daniel Nadeau

Ceux qui doutent que penser l’espace public peut être utile pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons devraient tout comme moi s’intéresser à l’ouvrage de Jeffrey L. McNairn publié en 2000 aux Presses universitaires de Toronto intitulé : The Capacity to Judge: Opinion and Deliberative Democracy in Upper Canada, 1791-1854. Ils pourront constater qu’il existe un lien entre le développement d’un espace public et de son corollaire l’opinion publique est indissociablement liée au développement de la démocratie dans le Haut-Canada de l’époque, la province de l’Ontario d’aujourd’hui.

Jeffrey McNairn est professeur à l’Université Queen’s à Kingston en Ontario. Spécialiste en histoire politique, en histoire intellectuelle et aux questions d’espace public et de culture imprimée du Canada au 19e siècle. Il s’intéresse tout particulièrement à l’histoire de l’État, au colonialisme britannique et à l’Empire.

Il a publié de nombreux articles sur ces questions et beaucoup en collaboration avec des historiens francophones notamment Michel Ducharme et Jean-François Constant. Je retiens particulièrement les contributions de McNairn au livre de Damien-Claude Bélanger, Michel Ducharme, and Sophie Coupal, dir., Les idées en mouvement : perspectives en histoire intellectuelle et culturelle du Canada, Laval University Press, 2004 et celui de Jean-François Constant and Michel Ducharme, eds., Liberalism and Hegemony : Debating the Canadian Liberal Revolution, University of Toronto Press, 2009.

Dans ce livre, Jeffrey L. McNairn adopte une approche singulière et originale pour comprendre les débuts du gouvernement représentatif dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord. Il étudie le développement du gouvernement responsable en faisant de l’opinion publique le cœur de son approche. Se concentrant sur le Haut-Canada, Jeffrey McNairn voit l’émergence du concept d’espace public dans ce territoire comme la source principale de l’autorité publique et il identifie les institutions sociales et culturelles qui en permettent le déploiement comme les journaux, les clubs littéraires, les salles de lecture, les lieux de formation comme les Mechanic’s Institute ou encore les salles de lecture et les bibliothèques. En fait, le sujet de ce livre c’est l’établissement d’un gouvernement responsable d’une colonie britannique qui fait appel à la raison et à la discussion d’un public informé. Ce livre est un cas concret du développement du concept d’espace public tel que l’a défini Jürgen Habermas au 19e siècle en Europe et il se vérifie ici dans une colonie britannique en Amérique du Nord.

Au milieu du 19e siècle, l’opinion publique émerge comme une nouvelle forme d’autorité dans le Haut-Canada. Les gens de l’époque semblent croire que les meilleures réponses aux questions de bien commun découlent d’échanges et de délibérations des individus privés. De cela naît pour McNairn une démocratie délibérative au Haut-Canada.

S’appuyant sur l’apport théorique de Jürgen Habermas sur l’espace public, Mc Nairn voit dans les archives qu’il a consulté la naissance de cet espace délibératif à travers les associations volontaires et la presse d’un public de lecteurs et d’individus capables de raisonnement public sur les questions liées à l’État.

Il différencie deux types d’opinions publiques soit l’opinion publique moderne et l’opinion publique classique. Ce développement de l’espace public du Haut-Canada s’est fait de façon progressive au fur et à mesure que se développaient des institutions où circulait l’information. Pour McNairn, l’émergence de cet espace public souvent en confrontation avec le pouvoir colonial qui n’hésite pas à utiliser la violence pour réprimer l’émergence de celle-ci est une véritable révolution politique au 19e siècle dans le Haut-Canada.

À la fin de la période étudiée, McNairn trouve dans le Haut-Canada trouve un processus de formation d’un espace public bien en mouvement. Un mouvement qui vient donner de l’autorité à la théorie de Kant sur les lumières et le triomphe de la raison et sur le concept d’espace public d’Habermas. Mc Nairn l’affirme : « En 1854, une sphère publique libérale existait dans le Haut-Canada. Ses idéaux et ses revendications ont été intégrés à la compréhension constitutionnelle et sociale de la province. L’acceptation de l’opinion publique et de la démocratie délibérative était en quelque sorte une révolution. Les concepts et hypothèses pré-démocratiques ont explosé de manière à nous rappeler pourquoi les contemporains ont consacré autant d’efforts au débat public et pourquoi ils ont cherché à les investir avec plus d’autorité. » (Traduction libre de l’auteur) – (p. 436-437) McNairn atteste aussi de l’existence de publics subalternes à cette époque. Des groupes qui souhaitent être intégrés à la discussion publique et aux affaires de l’État, mais qui en sont exclus. Cela devrait faire l’objet d’une étude en soi nous dit l’historien au terme de son étude.

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