Les médias et la démocratie

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Date: 30 avril 2020
Auteur: Daniel Nadeau

Peter Dahlgren, que j’évoquais hier dans ce blogue, a dirigé un recueil d’articles avec son collègue Colin Sparks qui s’intéresse au rôle des médias dans la construction d’un espace démocratique en usant du concept habermassien d’espace public. Il s’agit du livre publié en 1993 chez Routledge intitulé : Communication and Citizenship: Journalism and The Public Sphere.

Ce livre aborde une question qui est de plus en plus au centre du débat académique et journalistique : dans quelle mesure les médias des sociétés modernes sont-ils capables d’aider les citoyens à en apprendre davantage sur le monde, à débattre de leurs réponses et à obtenir des informations sur les actions à adopter ? Les médias peuvent-ils jouer un rôle dans la formation d’une sphère publique à un moment où la radiodiffusion de services publics est attaquée, et où la presse populaire produit des potins de célébrités et de l’information spectacle, sensationnaliste et trivialisée ?

Les contributions des divers auteurs de ce livre, ils sont onze, ont pour origine le colloque organisé en mai 1989 au Centre interuniversitaire de Dubrovnik en Croatie tenu sous les auspices du Département de journalisme, des médias et des communications.

Le sujet est le concept de sphère publique d’Habermas en lien avec le développement des médias de masse tant en Europe qu’aux États-Unis. Il est discuté dans ce livre comme un concept opératoire pour étudier à la fois le développement de l’opinion publique en lien avec le vouloir-vivre ensemble démocratique.

Dans ces diverses contributions, selon diverses approches, il est établi que le modèle d’Habermas n’est pas sans défaut et que ses limites nécessitent de nouvelles approches : « L’histoire n’est pas statique, et la sphère publique dans la situation contemporaine est conditionnée par d’autres circonstances historiques et est (espérons-le) imprégnée d’autres potentialités. Dans la mesure où l’on se préoccupe de la dynamique de la démocratie, nous avons besoin d’une compréhension de la sphère publique qui soit conforme aux réalités émergentes d’aujourd’hui et utilisable à la fois pour la recherche et la politique. Cela implique de se réconcilier avec l’analyse de Habermas, de l’intégrer et de la modifier dans de nouveaux horizons intellectuels et politiques. » (p. 2-3)

Parmi les nouveaux horizons qu’ouvrent les perspectives de ces diverses contributions, le plus important c’est le constat du pluralisme et de la dynamique de la sphère publique qui vient inverser le contrôle traditionnel des médias traditionnels et leur emprise sur l’espace public. Cette nouvelle configuration de l’espace public en lien avec le développement économique et social peut être résumé en quatre éléments fondamentaux : « In particular, if we now synthesize the four elements of this configuration – crisis of the state, audience segmentation, the new movements and the available communication technologies – we see the contours of historically new conditions for the public sphere, a new nexus to set in contrast to the dominant one of the corporate state and the major media. » (p. 14)

De tous ces auteurs, trois contributions ont particulièrement retenu mon attention, il s’agit de celle de James Curran, Rethinking the media as a public sphere, Paolo Mancini, The public sphere and the use of news in a coalition system of government et celle de Michael Gurevitch, Mark.R. Levy et Itzak Roeh, The global newsroom: convergences and diversities in the globalization of television news.

L’article de James Curran compare les diverses approches théoriques concernant le rôle des médias dans l’espace public principalement l’approche libérale et l’approche de la théorie démocratique radicale. Il cherche à tracer une troisième voie pour repenser le rôle des médias dans l’espace public. Après avoir rappelé que dans l’approche libérale, les médias sont vus comme le lieu d’une lutte, un champ de bataille entre des forces sociales qui s’opposent et selon cette conception ils jouent un rôle d’arbitre entre les forces antagonistes : « Une exigence fondamentale d’un système de médias démocratiques devrait donc être qu’il représente tous les intérêts importants de la société. Il devrait faciliter leur participation au domaine public, leur permettre de contribuer au débat public et d’avoir une contribution à l’élaboration de la politique publique. Les médias devraient également faciliter le fonctionnement des organisations représentatives et exposer leurs processus internes au contrôle du public et au jeu de l’opinion publique. En bref, un rôle central des médias devrait être défini comme l’assistance à la négociation équitable ou à l’arbitrage d’intérêts concurrents par le biais de processus démocratiques. » (p. 30)

Pour ceux qui croient à l’approche démocratique radicale, les médias sont au service des élites. Ils présentent généralement un visage du monde qui souffre de distorsions en présentant les injustices structurelles comme des faits divers ou des malchances. Pour les tenants de cette approche, les médias doivent jouer le rôle de redresseur de torts et ils doivent favoriser un plus grand accès de tous. « Surtout, cela signifie élargir l’accès au domaine public dans les sociétés où les élites y ont un accès privilégié. Cela signifie également une compensation pour les ressources et les compétences inférieures des groupes subordonnés dans la défense et la rationalisation de leurs intérêts par rapport aux groupes dominants. » (p. 30)

Après avoir discuté et critique la propriété privée des médias ou la propriété collective, Curran examine quatre expériences vécues dans des pays différents. Il conclut en disant que la question de fond est à savoir comment le système médiatique peut être construit de façon à favoriser l’expression de toutes les opinions et les forces sociales dans l’espace public. Il conclut que la solution est dans un système hybride : « Ils ont tous un point commun : ils marient une approche collectiviste des processus de marché. Ils représentent ainsi une tentative de définir une troisième voie supérieure aux marchés défaillants et aux politiques collectivistes. Leur objectif est de recréer les médias en tant que sphère publique sous une forme relativement autonome du gouvernement et du marché. » (p. 52)

Pour sa part. Paolo Mancini étudie le rôle des médias en Italie en mode de gouvernement de coalition à un moment où il constate que la communication politique se personnalise et prend des accents dramatiques comme mode d’exposition au grand public. Il constate que les journalistes sont souvent des agents publicitaires pour les partis en présence et que la communication politique est souvent un spectacle. (p.160-161)

Enfin, dans son article Gurevitch, constate que même si les images télévisuelles se mondialisent, le public lui pense localement, car les codes sociaux pour interpréter ce qu’il voit ne sont pas les mêmes d’un pays a un autre. Ce qui fait dire à l’auteur que l’on se retrouve dans une sorte de tour de Babel plutôt que dans un monde de citoyenneté globale d’un public raisonné. (p. 214-215)

s médias et la démocratie

Peter Dahlgren, que j’évoquais hier dans ce blogue, a dirigé un recueil d’articles avec son collègue Colin Sparks qui s’intéresse au rôle des médias dans la construction d’un espace démocratique en usant du concept habermassien d’espace public. Il s’agit du livre publié en 1993 chez Routledge intitulé : Communication and Citizenship: Journalism and The Public Sphere.

Ce livre aborde une question qui est de plus en plus au centre du débat académique et journalistique : dans quelle mesure les médias des sociétés modernes sont-ils capables d’aider les citoyens à en apprendre davantage sur le monde, à débattre de leurs réponses et à obtenir des informations sur les actions à adopter ? Les médias peuvent-ils jouer un rôle dans la formation d’une sphère publique à un moment où la radiodiffusion de services publics est attaquée, et où la presse populaire produit des potins de célébrités et de l’information spectacle, sensationnaliste et trivialisée ?

Les contributions des divers auteurs de ce livre, ils sont onze, ont pour origine le colloque organisé en mai 1989 au Centre interuniversitaire de Dubrovnik en Croatie tenu sous les auspices du Département de journalisme, des médias et des communications.

Le sujet est le concept de sphère publique d’Habermas en lien avec le développement des médias de masse tant en Europe qu’aux États-Unis. Il est discuté dans ce livre comme un concept opératoire pour étudier à la fois le développement de l’opinion publique en lien avec le vouloir-vivre ensemble démocratique.

Dans ces diverses contributions, selon diverses approches, il est établi que le modèle d’Habermas n’est pas sans défaut et que ses limites nécessitent de nouvelles approches : « L’histoire n’est pas statique, et la sphère publique dans la situation contemporaine est conditionnée par d’autres circonstances historiques et est (espérons-le) imprégnée d’autres potentialités. Dans la mesure où l’on se préoccupe de la dynamique de la démocratie, nous avons besoin d’une compréhension de la sphère publique qui soit conforme aux réalités émergentes d’aujourd’hui et utilisable à la fois pour la recherche et la politique. Cela implique de se réconcilier avec l’analyse de Habermas, de l’intégrer et de la modifier dans de nouveaux horizons intellectuels et politiques. » (p. 2-3)

Parmi les nouveaux horizons qu’ouvrent les perspectives de ces diverses contributions, le plus important c’est le constat du pluralisme et de la dynamique de la sphère publique qui vient inverser le contrôle traditionnel des médias traditionnels et leur emprise sur l’espace public. Cette nouvelle configuration de l’espace public en lien avec le développement économique et social peut être résumé en quatre éléments fondamentaux : « In particular, if we now synthesize the four elements of this configuration – crisis of the state, audience segmentation, the new movements and the available communication technologies – we see the contours of historically new conditions for the public sphere, a new nexus to set in contrast to the dominant one of the corporate state and the major media. » (p. 14)

De tous ces auteurs, trois contributions ont particulièrement retenu mon attention, il s’agit de celle de James Curran, Rethinking the media as a public sphere, Paolo Mancini, The public sphere and the use of news in a coalition system of government et celle de Michael Gurevitch, Mark.R. Levy et Itzak Roeh, The global newsroom: convergences and diversities in the globalization of television news.

L’article de James Curran compare les diverses approches théoriques concernant le rôle des médias dans l’espace public principalement l’approche libérale et l’approche de la théorie démocratique radicale. Il cherche à tracer une troisième voie pour repenser le rôle des médias dans l’espace public. Après avoir rappelé que dans l’approche libérale, les médias sont vus comme le lieu d’une lutte, un champ de bataille entre des forces sociales qui s’opposent et selon cette conception ils jouent un rôle d’arbitre entre les forces antagonistes : « Une exigence fondamentale d’un système de médias démocratiques devrait donc être qu’il représente tous les intérêts importants de la société. Il devrait faciliter leur participation au domaine public, leur permettre de contribuer au débat public et d’avoir une contribution à l’élaboration de la politique publique. Les médias devraient également faciliter le fonctionnement des organisations représentatives et exposer leurs processus internes au contrôle du public et au jeu de l’opinion publique. En bref, un rôle central des médias devrait être défini comme l’assistance à la négociation équitable ou à l’arbitrage d’intérêts concurrents par le biais de processus démocratiques. » (p. 30)

Pour ceux qui croient à l’approche démocratique radicale, les médias sont au service des élites. Ils présentent généralement un visage du monde qui souffre de distorsions en présentant les injustices structurelles comme des faits divers ou des malchances. Pour les tenants de cette approche, les médias doivent jouer le rôle de redresseur de torts et ils doivent favoriser un plus grand accès de tous. « Surtout, cela signifie élargir l’accès au domaine public dans les sociétés où les élites y ont un accès privilégié. Cela signifie également une compensation pour les ressources et les compétences inférieures des groupes subordonnés dans la défense et la rationalisation de leurs intérêts par rapport aux groupes dominants. » (p. 30)

Après avoir discuté et critique la propriété privée des médias ou la propriété collective, Curran examine quatre expériences vécues dans des pays différents. Il conclut en disant que la question de fond est à savoir comment le système médiatique peut être construit de façon à favoriser l’expression de toutes les opinions et les forces sociales dans l’espace public. Il conclut que la solution est dans un système hybride : « Ils ont tous un point commun : ils marient une approche collectiviste des processus de marché. Ils représentent ainsi une tentative de définir une troisième voie supérieure aux marchés défaillants et aux politiques collectivistes. Leur objectif est de recréer les médias en tant que sphère publique sous une forme relativement autonome du gouvernement et du marché. » (p. 52)

Pour sa part. Paolo Mancini étudie le rôle des médias en Italie en mode de gouvernement de coalition à un moment où il constate que la communication politique se personnalise et prend des accents dramatiques comme mode d’exposition au grand public. Il constate que les journalistes sont souvent des agents publicitaires pour les partis en présence et que la communication politique est souvent un spectacle. (p.160-161)

Enfin, dans son article Gurevitch, constate que même si les images télévisuelles se mondialisent, le public lui pense localement, car les codes sociaux pour interpréter ce qu’il voit ne sont pas les mêmes d’un pays a un autre. Ce qui fait dire à l’auteur que l’on se retrouve dans une sorte de tour de Babel plutôt que dans un monde de citoyenneté globale d’un public raisonné. (p. 214-215)

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