La parole libérée et les pestiférés de l’opinion

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Date: 20 octobre 2017
Auteur: Daniel Nadeau

Nous n’en avons plus en ce moment que pour ces héros déchus de l’opinion publique qui à cause de comportements inacceptables et injustifiables ont été jetés en bas de leur piédestal. On pense ici bien sûr à Éric Salvail et Gilbert Rozon. L’ensemble des médias québécois ont largement commenté ces cas et je l’ai fait aussi hier dans un billet sur ce blogue. Je n’entends pas revenir sur cette question. Pour le moment du moins.

Néanmoins, la question qui tue est la suivante : des gens comme Rozon et Salvail pourront-ils un jour être réhabilités par la même opinion publique qui vient de causer leur perte? On a des exemples, même si ce qu’on lui reprochait n’était pas de même nature, comme celui de Joël Legendre qui lentement revient sur la scène même si sa popularité n’est plus ce qu’elle était avant l’événement de Longueuil où Legendre s’était livré à des gestes indécents en publics.

Il y a un exemple de tentative de réhabilitation qui a eu lieu ces dernières semaines et cela concerne l’ancien conjoint de l’actrice française Marie Trintignant, le chanteur rock de Noir Désir Bertrand Cantat. La semaine dernière, le magazine Les Inrocks a suscité une vive polémique en mettant sur sa couverture une photo et une interview du chanteur Bertrand Cantat condamné en 2004 par la justice lituanienne à huit ans de prison pour « coups mortels » sur sa compagne, l’actrice Marie Trintignant.

Cela a suscité de vives polémiques en France et ailleurs sur la planète. Le comité de direction de la revue a senti le besoin de s’en expliquer à ses lecteurs :

« Depuis une semaine, la couverture que nous avons consacrée à Bertrand Cantat suscite une vive polémique. Certains de nos lecteurs, des personnalités, des citoyens, des artistes ont exprimé publiquement, parfois de façon très virulente, leur désaccord face à ce parti pris éditorial qui a été celui de notre hebdomadaire. Nous avons également reçu, à titre personnel, des messages qui signifiaient leur désaccord, leur mécontentement, voire leur profonde déception. Ces messages nous ont touchés, parfois bouleversés. Face à certaines réactions, qui allaient du désarroi à la haine, nous avons éprouvé aux Inrockuptibles le besoin de nous rassembler, de parler, de débattre. Ensemble, en réunion générale et en plus petits comités, nous avons questionné cette couverture tout au long des jours qui se sont écoulés…

Tout cela nous engage et nous engagera à faire toujours preuve de vigilance dans notre façon de traiter et de mettre en scène les sujets que nous estimons importants. Pour un magazine comme Les Inrockuptibles, le retour de Bertrand Cantat à la musique en fut un. Le mettre en couverture était contestable. À ceux qui se sont sentis blessés, nous exprimons nos sincères regrets.

Les débats qui, la semaine passée, se sont fait jour, nous motivent aussi et surtout à poursuivre dans ces colonnes notre lutte contre les violences faites aux femmes. À continuer chaque jour le travail de déconstruction d’une domination masculine qui écrase les femmes, comme le prouve l’enquête que nous consacrons cette semaine au milieu du cinéma après la révélation de l’affaire Weinstein. À relayer les idées féministes comme cela a toujours été le cas. Il était important pour nous de vous dire cela ».

Cela peut nous réconcilier avec le genre humain. Il semble que la réhabilitation de Bertrand Cantat qui a quand même été condamné pour avoir battu mortellement sa conjointe Marie Trintignant ne soit pas pour demain. Même s’il y a eu clairement une tentative ici. Mais cela n’est pas passé dans l’opinion et le comité de la rédaction de la revue, qui est un lieu de débats, a dû revenir sur sa décision et faire une mise au point. Il ne faut pas s’y méprendre, c’est la force des critiques de leur lectorat et des autres médias qui ont conduit à ce résultat.

Au Québec, dans la foulée des affaires de harcèlement et d’agressions sexuelles, il faut dire non à la réhabilitation des pestiférés de l’opinion. Nous le devons à toutes les victimes. Aucune excuse ne pourra jamais effacer le mal qui a été fait par ces prédateurs, véritables junkies du pouvoir. Zéro tolérance doit devenir notre mot d’ordre…

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