L’opinion publique en Allemagne au 18e siècle

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Date: 21 avril 2020
Auteur: Daniel Nadeau

Françoise Knopper, professeur à l’Université de Toulouse et spécialiste en études germaniques et André Combes, professeur à l’Université Toulouse2-Le Mirail et spécialisé lui aussi en études germaniques ont dirigé un recueil d’articles sur l’opinion publique paru aux éditions l’Harmattan en 2006 intitulé L’opinion publique dans les pays de langue allemande.

Ce livre est le résultat du 37e congrès de L’Association des Germanistes de l’enseignement supérieur organisé à l’Université de Topulouse2-Le Mirail du 24 au 26 mai 2004. Plus de 30 personnes ont collaboré au présent ouvrage. Les thèmes abordés varient, mais toutes les contributions ont pour point d’appui l’examen des mutations de l’opinion publique à travers des approches croisées faisant appel à la littérature, l’histoire, la politique, la sociologie, l’analyse des discours, l’histoire des idées et la sociologie. Les contributions des divers auteurs présents dans ce recueil s’inscrivent dans les sentiers de l’œuvre maîtresse de Jürgen Habermas.

Dans l’avant-propos de ce livre, les auteurs situent bien le sujet : « Si les articles publiés ici ne remettent pas en cause l’apport essentiel des travaux de Jürgen Habermas et de son maître-ouvrage Satrukturwandel der Öffentlichkeit (1962) les fondements théoriques d’une dialectique de l’espace public, notamment la mise en relief du rôle fondamental de la communication et de ses rapports à la politique – les changements qui sont intervenus dans l’espace public et qui ont précisément été provoqués par la communication, incitent à prendre ne compte les objections que l’on a pu faire à Habermas et à réfuter l’homogénéité de son modèle public. »

Dans ces contributions, les auteurs interrogent essentiellement l’approche philosophique sur la nature et la réalité de l’opinion publique. Ils soulignent l’ambiguïté de ce concept qui associe privé et public et voit dans le développement historique que cette ambiguïté public-privé s’est progressivement transformée en citoyenneté dans le cadre de l’État-nation au 19e siècle. Les auteurs voient aussi la dégénérescence de cette opinion publique sous le développement des forces économiques et sociales : l’opinion publique a tendance à se déliter puisqu’elle est liée à un espace commun (national), mais prétend aussi à une validité universelle : « L’État exerce de moins en moins son rôle de gérant du consensus au profit de technologies qui entretiennent l’illusion de la citoyenneté universelle, mais, en fait, remplacent la norme par l’expression arbitraire individuelle. » (p. 7)

En fait, la constitution d’un espace public peut bel et bien être attestée en Allemagne et dans les pays de langue allemande. Un espace public qui s’est constitué autour du pouvoir du prince contre les féodaux. Puis, ce même espace public aura permis l’émergence d’un espace public bourgeois de démocratisation et de libéralisation et surtout de la naissance d’une pluralité d’opinion. C’est ce processus qu’ont étudié les auteurs dans ce recueil d’articles dans la foulée des travaux d’Habermas, ils montrent « comment la publicité bourgeoise organise son opinion publique sur la base certes idéale, voire illusoire, d’un consensus issu des échanges communicationnels du plus grand nombre avec une concurrence et une lutte permanente d’individus et de groupes sociaux pour s’y assurer une position dominante. » (p. 8)

Pour Alexandre Lige et Oskar Negt par exemple, « cette forme d’espace public bourgeois est une forme rétrécie et substantialisée d’espace public. C’est pourquoi ils favorisent l’élargissement de ce concept pour en élargir la portée en fonction de l’apparition d’espaces publics de contestation, de grèves et d’actes de résistance qu’ils qualifient de “sphère publique prolétarienne”. » (p. 16)

Pour Gérard Raudet, « L’opinion publique est une fiction fédératrice qui crée la figure fictive d’un individu collectif, un Nous imaginaire. J’ai en ce sens proposé d’appliquer à l’opinion publique un concept forgé par Louis Quéré : celui de “tiers symbolisant”. On peut aussi recourir à la conceptualité habermasienne et concevoir l’opinion publique comme la médiatisation – c’est-à-dire la rationalisation par mise en discours – des règles d’actions, d’usages établis, de concepts et de significations préexistants dans le monde vécu, mais à la condition de bien voir deux choses : que la médiatisation, en les thématisant leur donne en même temps réalité, ensuite que cette réalité est d’une nature bien particulière puisqu’elle est la fiction discursive de l’accord qui se dégage de leur mise en débat. » (p. 21)

Finalement, le même auteur donne une conclusion intéressante de ce sujet en comparant Bourdieu et Habermas : « Quand on étudie la sphère publique politique s’offrent dès lors deux options : l’une que je qualifierais pour faire vite de bourdieusienne, l’autre d’habermassienne. L’une insiste sur la dépendance qui lie les opinions publiques aux rapports de pouvoir des classes, l’autre sur le moment utopique que constitue la constitution d’un consensus. Ces deux options ne s’excluent pas, elles sont parfaitement complémentaires. Elles se rejoignent sur le point fondamental : la réalité fictionnelle de l’opinion publique. » (p. 22)

Pour conclure avec une autre citation qui poise une question fondamentale à la mise en œuvre du concept d’opinion publique, parlons maintenant du lien entre celle-ci et les intermédiaires que constituent les médias : « Reprenons la question posée au début de notre exposé, à savoir : comment se forme l’opinion publique : d’elle-même ou par manipulation ? … Nous constatons d’abord que cette opinion publique ne se forme pas d’elle-même dans le cas présent, il faut un vecteur, un intermédiaire entre l’Information à transmettre et le public visé. Elle ne naît pas non plus par manipulation, du moins pas ici. » (p. 370-371)

Ce recueil d’articles est fort instructif. Il s’inscrit dans la veine de l’historisation d’un concept. Ici, il est appliqué à de nombreux exemples l’opéra, la presse, la propagande, la publicité, les récits de voyage, les feuilletons, les comédies dramatiques, le cinéma. On prend conscience en lisant ces diverses contributions que le concept d’Habermas et ses critiques ont donné naissance à une littérature scientifique sans fin. Ce concept d’Habermas permet d’aborder de nombreux sujets dans un éclectisme impressionnant. En soi, le champ de l’étude de sphère publique et d’opinion publique pourrait en eux-mêmes devenir un champ d’études disciplinaire.

 

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