Médias de masse, Internet et opinion publique

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Date: 29 avril 2020
Auteur: Daniel Nadeau

Dans un article publié dans la revue Réseaux en 2000, Peter Dahlgren explore la relation entre les médias de masse, Internet et l’espace public. Suédois, Dahlgren a fait des études aux États-Unis et est professeur à l’Université Lund en Suède. Ii s’est intéressé tout particulièrement à une variété de thèmes qui se regroupent autour de l’idée d’une participation civique dans le processus politique et de l’importance des médias à cet égard. Cette œuvre a été encadrée par un certain nombre d’horizons conceptuels, y compris des théories de la sphère publique et des transitions socioculturelles de la modernité tardive. La notion d’identité a également eu une place centrale, d’autant plus qu’elle concerne l’émergence d’un soi civique ou politique.

Plus largement, son travail se concentre sur les médias et la démocratie, depuis les horizons de la théorie sociale et culturelle moderne tardive. Plus précisément, j’aborde souvent le thème de la participation démocratique, en particulier en ce qui concerne les médias numériques. J’explore des facteurs qui peuvent à la fois promouvoir et entraver l’engagement civique. Actif dans les réseaux universitaires et les événements européens, il a été chercheur invité dans plusieurs universités, notamment en France, ainsi qu’en Écosse, en Afrique du Sud et aux États-Unis. Ses publications récentes comprennent Media and Political Engagement (Cambridge University Press, 2009), le volume co-édité Young People, ICTs and Democracy (Nordicom, 2010), ainsi qu’une série d’articles de revues et de chapitres de livres.

Dans cet article, Peter Dahlgren explore le rôle joué par les nouveaux médias de masse par le biais d’Internet en cherchant à saisir les impacts de ceux-ci sur notre compréhension du concept d’espace public d’Habermas.

Partant de l’idée d’un espace public et de médias qui rendent « … visible la politique (et la société). Diffusant des informations et des analyses, proposant des forums de débats, les médias alimentent la culture civique commune et participent incontestablement de l’espace public. » (p. 159.) C’est dans ce contexte que Dahlgren s’interroge sur les conséquences de l’arrivée de nouveaux médias propulsés par le Web sur l’espace public et la contribution de ces médias dans le débat démocratique contemporain.

Ainsi Peter Dahlgren revisite le concept d’espace public en rappelant d’abord quelques éléments caractéristiques de l’argumentation originale. Puis, il soumettra cet espace public « revampé » à une perspective s’appuyant sur trois dimensions interreliées : structurelle, spatiale et communicative. Enfin, il dit qu’il examinera ensuite de façon « schématique l’internet du point de vue de ces trois dimensions et je conclurai par quelques brèves réflexions sur le potentiel du net dans l’espace public de l’Union européenne. » (p. 161)

L’auteur est d’avis que la pensée d’Habermas sur l’espace public est très marquée par d’une part la théorie critique de l’École de Francfort et, en second lieu, par sa critique de la société de masse en la regardant en surplomb dans une perspective néo-marxiste pour en faire une critique du capitalisme avancé et des sociétés industrielles. (p. 162)

Dahlgren opine que dans le fond cette approche critique néo-marxiste n’est pas si éloignée, en termes pratiques, écrit-il des « … horizons normatifs des traditions libérales ou progressistes qui promeuvent le bon journalisme ou l’information dans l’intérêt public ne sont pas si différents des idéaux des médias inspirés par la structure critique de l’espace public. » (p. 162)

Dahlgren croit qu’étant donné cet état de fait il serait plus productif d’examiner le concept d’espace public en réfléchissant aux rapports entre média, communication et démocratie de préférence à chercher à attendre un consensus artificiel. Pour lui, ces trois dimensions sont fondamentalement inséparables quand on réfléchit à la démocratie en lien avec l’Internet. (p. 163)

Les trois dimensions mises en lumière sont la dimension structurelle qui fait reposer ce concept sur l’idée d’universalité et d’accessibilité, l’exclusion d’un groupe ou d’un autre pose un grave problème à la prétention de démocratie lié à l’universalisme du modèle. De même, la concentration de la propriété des médias, le processus de marchandisation et le populisme qui mène à la trivialisation et au sensationnalisme sont aussi des maux qui viennent interroger les pratiques journalistiques. Enfin, « les hiérarchies sociales, l’économie, les conditions de travail, le bien-être, l’éducation et les modèles culturels sont des liants essentiels de l’espace public en ce qui concerne l’interaction et l’engagement des citoyens. » (p. 164)

Pour résumer la pensée de l’auteur, il affirme que le Net vient renforcer la possibilité de l’existence d’un véritable espace public : « La notion d’action communicationnelle intersubjective proposée par Habermas se manifeste elle-même sur le net, si elle se trouve marginalisée et menacée par la prégnance des actions stratégiques, c’est-à-dire par la communication instrumentale et manipulatrice soumise à la logique de l’économie et du pouvoir. Bien que toute interaction discursive ait des limites structurelles et contextuelles, le fait qu’une forme de communication non contrôlée existe bel et bien sur quelques espaces du net constitue une pierre angulaire pour son rôle dans l’espace public. » (p.178) La seule ombre au tableau et qu’il faut prendre en compte c’est que le net tend à déterritorialiser et qu’un espace public ne peut exister réellement dans ses termes de démocratie qu’au sein d’un État-nation territorialisé. Cela est cependant jouable puisque : Les paramètres territoriaux ne disparaissent pas aussi facilement : les gouvernements protègent toujours leurs frontières, les gens entretiennent des identités géographiques ancrées et la vie sociale locale est toujours là. De plus, une grande part de la vie sociale, et en particulier ses aspects politiques, reste fondée sur le lieu et ses démarcations.

Il garde espoir cependant que le Net soit porteur d’un élargissement d’un espace public plus démocratique en pensant à L’Union européenne : « Étant donné le caractère encore plutôt anarchique du net, nous pouvons nous accrocher à l’espoir qu’il sera de plus en plus utilisé, au sein de l’UE, par des groupes ne faisant pas partie de l’élite, par exemple des groupes de citoyens, des mouvements sociaux et d’autres activistes, de manière à produire des espaces publics alternatifs et des interventions politiques significatives. » (p. 182)

Il est clair cependant pour Dahlgren que l’Internet peut changer la vie politique, mais il croit qu’il faudra être attentif pour observer si assez de gens seront motivés pour se considérer à la fois comme des citoyens d’une démocratie nationale et transnationale. Le Net est une occasion. (p. 183)

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